On attendait avec impatience le second tome de l’incroyable saga uchronique du Dernier Atlas, que l’on risque de bien de ranger au côté des meilleures réussites de Naoki Urasawa… et on n’est pas déçus !
Alors voilà, Le Dernier Atlas, c’est une uchronie, soit LE sujet à la mode depuis quelque temps. Mais une uchronie FRANÇAISE, et quelque part, ça fait toute la différence, car Le Dernier Atlas parle de nous. Et nous parlera plus personnellement encore si, comme c’est notre cas, l’Algérie nous est un pays cher. Il nous est difficile de ne pas aimer une BD dont les personnages principaux sont des Algériens, des Arabes, des Indiens (d’Inde), des Africains, ne serait-ce que parce qu’on doit compter sur les doigts d’une main les BDs françaises qui ne mettent pas des bons blancs au centre de leur intrigue !
Autre originalité – moins importante, certes – le « pilote » du Dernier Atlas a fait l’objet d’une parution en fascicules d’une vingtaine de planches, en Noir et Blanc, avant un premier tome de plus de 200 pages, en couleurs, édité en mars 2019, et un second en juin dernier, en attendant un troisième et dernier en 2021, on imagine.
L’histoire, uchronique, donc, est ambitieuse : il a suffi qu’un poilu de plus survive en 1918 pour que le destin de l’Algérie soit changé, et la guerre d’indépendance retardée, générant une bien plus profonde interaction et intrication entre les peuples et les cultures française et algérienne. C’est une uchronie qui déplaira profondément à nos amis du RN et autres forcenés anti-métissage, et c’est très bien comme ça. Mais ce poilu vivant, il aura aussi placé la France à l’avant-garde de la robotique. Et créé les gigantesques robots « Atlas » qui vont révolutionner l’industrie, pétrolière en particulier. Jusqu’à la catastrophe de Batna… sur laquelle nous découvrirons peu à peu de nouveaux éléments au fil de la lecture des deux premiers tomes de ce Dernier Atlas parfaitement décoiffant.
Mais rien de ce que nous avons raconté ici ne fait vraiment partie de l’histoire du Dernier Atlas, ce contexte uchronique est simplement le point de départ d’un récit époustouflant conjuguant surnaturel, SciFi hardcore, polar impitoyable, etc. Un mélange de genres dont on croyait seul capable un Urasawa… auquel on pense souvent ici : car on retrouve le même type d’ambiguïté, d’humanité donc, dans des héros capables du pire comme du meilleur, mais également une même tendance à la multiplication de personnages dont aucun n’est vraiment secondaire, et à la prolifération de fictions croisées ou complémentaires….
Bref, un travail titanesque de la part de Gwen De Bonneval et du régulièrement brillant Vehlmann, qui arrivent à créer un univers original (bon, on peut quand même penser à Evangelion et aux robots de Pacific Rim…) sans perdre de vue le contexte politique de la décolonisation. Mais ce qui est merveilleux avec le Dernier Atlas, c’est la manière dont le récit nous embarque, sur un dessin efficace, même si parfois irrégulier – il y a des images remarquables, alternant avec d’autres qui se contentent de « faire le job » -, un dessin peut être un tantinet « utilitaire » de Tanquerelle, dans un tourbillon démesuré d’action, de réflexion et de sentiments dont la BD franco-belge n’est pas coutumière.
Le Tome 1 se clôturait sur une combinaison de suspenses insoutenables, on était impatients d’enchaîner avec le second, et on n’est pas déçus… En tous point égal en qualité au premier volume, le Tome 2 poursuit tous les arcs narratifs du premier sans s’embrouiller ni négliger aucun des personnages de cette épopée de plus en plus… dantesque. Bien sûr, c’est le périple du « George Sand », les conflits entre les membres de son équipage, les jeux politiques autour de son voyage depuis l’Inde jusqu’à l’Algérie et son affrontement avec l’UMO, qui constitue la part la plus importante de ces deux cents nouvelles pages, et nous serions tous frustrés si ce n’était pas le cas.
Bien sûr, nous sommes tous un peu désorientés par la rapidité, la facilité du dénouement d’un affrontement que l’on imaginait dantesque, mais nous nous doutons bien que ce n’est qu’un piège que nous tendent Vehlmann et De Bonneval, et que quelque chose de terrible va se passer du côté de la centrale nucléaire de Tricastel ! Mais pour savoir quoi, il nous faut maintenant attendre le Tome 3, de ce Dernier Atlas qui pourrait bien s’avérer un nouvel incontournable de la BD franco-belge !
Eric Debarnot