Entrez avec les enquêtes du Shérif Walt Longmire dans l’univers dépaysant de Craig Johnson, un écrivain américain qui est à la fois, un cow-boy, un érudit et un humoriste.
« Vous êtes bien chez les Longmire, nous ne pouvons vous répondre pour le moment, parce que nous sommes en train de courir après des méchants ou d’essayer de nouveaux chapeaux blancs… »
En France, on connaît peu Craig Johnson, auteur de roman policier américain renommé outre-Atlantique, peut-être parce qu’il est trop… « américain » ? Parce qu’il est une sorte de caricature du cow-boy du Wyoming, portant toujours un chapeau à larges bords, et que ses polars ressemblent finalement plus à des westerns classiques avec duels au revolver, traque ancestrale – les pisteurs indiens à l’œuvre – des criminels dans la sauvage nature des Rocheuses ? En tous cas, et c’est évident à la lecture de sa série de livres consacrés aux enquêtes du Shérif Walt Longmire, éternel héros américain à la gâchette facile et à l’acharnement surhumain, Craig Johnson sait de quoi il parle. Loin du travail de l’écrivain « qui a fait des recherches sérieuses sur son sujet », on sent ici le vécu : Craig Johnson a fait tous les métiers, de cow-boy bien entendu à professeur d’université et conducteur de camions, en passant par ramasseur de fraises ! Il fréquente les tribus Crow et Cheyenne près de son ranch, et ses livres sont empreints de culture indienne, sans même parler du superbe personnage amérindien de Henry Standing Bear, qui joue un rôle central dans nombre d’intrigues.
« L’observer était une entreprise qu’il fallait mener avec délicatesse, l’objet était volatile, comme la nitroglycérine. »
Bref, se plonger dans Any Other Name (Tout Autre Nom en français), onzième volume de la série Walt Longmire, qui date de 2014 mais n’a été publié en format poche en traduction française qu’en 2020 (preuve s’il en est que Craig Johnson n’est guère à la mode chez nous…), c’est s’assurer de prendre un sacré bol d’oxygène, de vivre une expérience de dépaysement radical… C’est faire le coup de poing dans les bars avec des types brutaux qui deviendront ensuite de bons copains, c’est pister un tueur dans la neige jusqu’au milieu d’un troupeau de bisons blancs, c’est apprendre comment fonctionne le chargement d’un train de charbon, c’est cent choses passionnantes qui nous sortent des rituels désormais bien convenus du thriller conventionnel.
« Je transpirais comme une bouteille de bière dans un bar de motards »
Car si les enquêtes de Longmire n’ont pas cette complexité diabolique qu’on apprécie de nos jours, elles sont surtout l’occasion de rencontrer des personnages originaux, parfois farfelus, souvent touchants, dont la vérité ne fait aucun doute. Et aussi, donc, d’apprendre plein de choses nouvelles, Walt Longmire ayant l’intéressante caractéristique d’avoir une mémoire photographique, qui lui permet de nous expliquer la prépondérance de la caste des Patel dans la gestion des motels aux USA ou l’histoire des statues géantes, tronçonneuses à la main, qui décorent l’entrée de tant de petites villes américaines !
« Grouille-toi, ces tarés sont en train de me rendre dingue. On dirait que personne dans l’histoire des vagins n’a jamais mis un bébé au monde ! »
Et Tout Autre Nom se conclut par une succession de scènes très physiques, à fort taux de suspense même s’il n’est pas toujours facile de visualiser la topographie des lieux décrits, qui font qu’on se dit que cette histoire ferait un bien beau film, quelque part entre les Frères Coen – pour l’attention portée aux petites gens et à leur étrangeté comique – et Tommy Lee Jones – pour l’amour des grands espaces et de la richesse de la diversité culturelle… Avant de découvrir qu’il existe une série TV, Longmire, que nous devrions explorer un de ces jours !
Mais nous avons gardé pour la fin de cette chronique le plus important, sans doute la principale raison pour laquelle c’est un délice de lire Craig Johnson : son sens de l’humour dévastateur. Et comme il est vraiment rare de rire autant en lisant un polar aussi noir (on part ici d’un suicide particulièrement éprouvant pour arriver à la découverte d’un trafic bien sordide…), pourquoi donc se priver d’un tel plaisir ?
Eric Debarnot