Pas de baisse de régime pour Umbrella Academy, cette série malade qui nous parle de paradoxes temporels, de l’impossibilité de la famille et de la cruauté des traumas, et dont la conclusion ne saurait être que cette affirmation désabusée d’un des personnages : »Love hurts! ».
Bis repetita placent…
Sans surprise particulière par rapport à la première saison de Umbrella Academy, Jeremy Slater et Steve Blackman répètent dans cette seconde aventure de notre chère fratrie outrageusement dysfonctionnelle de (drôles de) super-héros les mêmes mécanismes : on ramasse quelques idées fortes et quelques éléments épars dans la BD ahurissante de Gerard Way et Gabriel Bá, que l’on réorganise de manière totalement différente, voire même contradictoire. Et on y ajoute une bonne ration d’histoires beaucoup plus conventionnelles, qui tranchent d’ailleurs violemment avec l’humour débridé et la folie furieuse de l’œuvre originale : car cette sorte de violence punk assaisonnée au psychédélisme sixties qui enchante dans les BDs, et qui exprime parfaitement la culture « rock’n’roll » de Way – chanteur de My Chemical Romance, rappelons-le – et Bá, fan auto-déclaré de punk rock et de grunge, est évidemment peu compatible avec le souci du « tout public » poursuivi par Netflix !
Cette hétérogénéité du scénario, qui se traduit logiquement par une grande hétérogénéité d’atmosphères, d’une scène à l’autre, sera vue, suivant le cas, comme une faiblesse de la série, navigant à vue entre l’absurde ultra-violent et le soap des plus classiques avec grands moments d’émotion à la clé, ou au contraire comme une délicieuse aberration : faisons donc le second choix, et réjouissons-nous d’être constamment surpris, déstabilisés, par un objet aussi peu formaté – presque « malade » – que Umbrella Academy !
Des enfants très mal élevés…
Car le meilleur de la première saison est toujours là, cet aspect sauvagement psychanalytique de l’histoire d’enfants (mal) élevés par un double père, l’un démiurge manipulateur et cruel, obsédé par la performance, l’autre primate et simple serviteur à tout-faire et chargé de leur donner l’amour qui leur manque, sans même mentionner une mère remplacée par un robot domestique… Et ayant développé, sans que Freud n’en soit le moins du monde surpris, toute une batterie de complexes, de déviances (l’amour fraternel vaguement incestueux entre Allison et Luther de la première saison ; les abus d’alcool et de drogues de Klaus)… Le résultat le plus extrême de cette éducation pour le moins expérimentale reste l’état psychotique de Vanya, à qui son identité aura été niée tout au long de son existence, et qui décompense de manière particulièrement violente en provoquant des apocalypses à répétition !
L’histoire de cette seconde saison est plus détachée de la BD, se contentant de reprendre le sujet de l’attentat contre JFK qui doit être perpétré par Five, mais elle retravaille avec une vraie intelligence les mêmes thèmes psychanalytiques, en les répétant dans un double scénario nouveau qui vient se greffer sur le premier : nous avons d’une part The Handler (Kate Walsh, délicieuse de méchanceté !) qui se choisit une fille (avec un processus d’adoption particulièrement brutal) et l’élève dans un mécanisme très similaire à celui de « l’Umbrella Academy », avec des résultats tout aussi désastreux ; et d’autre part, la possibilité de « sauver » un enfant autiste en substituant au couple américain modèle, gangrené par une haine machiste de la différence (le père qui n’accepte pas d’avoir un tel fils et souhaite avant tout le faire interner, « pour son bien ») un couple « déviant » (du point de vue de 1963), homosexuel, mais surtout capable de donner de l’amour… Même si, et heureusement les scénaristes ne tombent pas dans les clichés habituels, l’Amour, c’est surtout beaucoup de douleur, et jamais la solution !
Le poids de l’Histoire…
Si l’on peut trouver fatigante cette idée très anglo-saxonne qui voudrait que l’assassinat de JFK soit une sorte de péché originel qu’il conviendrait à toute force d’effacer, de réparer, le fait de transposer « l’Umbrella Academy » en 1963 s’avère une idée magistrale, qui nous vaut les meilleures épisodes de la saison, montrant de manière positive l’évolution de notre mentalité depuis cette époque finalement très obscurantiste : toutes les scènes tournant autour du mouvement pour les libertés civiques des Noirs, si elles n’échappent certes pas aux clichés du genre, s’avèrent passionnantes, introduisant un vrai poids – et une vraie pertinence – historique dans la série.
Bien entendu, et comme ce fut déjà le cas pour la première saison, les deux derniers épisodes déchaînent une violence un peu fatigante, et maints retournements de situation qui déçoivent au sein d’une histoire plutôt bien construite jusque-là. Mais ce n’est pas là une raison valable de bouder une série qui confirme cette année sa belle singularité…
Eric Debarnot