A l’heure où de grands journaux états-uniens renoncent au dessin satirique dans leurs pages pour n’offenser personne, réjouissons-nous d’avoir encore Willem pour nous horrifier et nous faire rire : la dernière compilation de ses dessins, Les Imbuvables, pourrait s’appeler « Les (Dessins) Immanquables ».
Est-il besoin de présenter Bernhard Willem Holtrop ? Sans Willem, cet autre Hollandais violent, cet infatigable provocateur, dont les dessins d’actualité ont plus que contribué à la célébrité des grands journaux dans lesquels il a travaillé, Hara-Kiri ou Charlie Hebdo n’auraient pas été tout-à-fait aussi pertinents, aussi mémorables. Tomber en parcourant l’un de nos quotidiens ou hebdos favoris sur un dessin de Willem signifie systématiquement rire et s’indigner à la fois, mais surtout réfléchir, penser en dehors des règles communément admises… que l’on parle ici de simple politesse, de bien-pensance ou de savoir-vivre, toutes choses que Willem vomit.
Car si les dessins de Willem semblent souvent très méchants, c’est qu’ils sont surtout sans pitié… ou plutôt terriblement honnêtes : les faiblesses, les erreurs, les abjections même de nos dirigeants n’y sont la plupart du temps que le miroir des nôtres. Quand on lit Willem, on rit, on s’indigne, on réfléchit donc… mais aussi on a un peu honte. Car ces monstres, nous les avons élus. Et ces monstres, sont-ils si différents de nous, au fond ?
Les Imbuvables, la dernière compilation parue des dessins de Willem présente la particularité de pouvoir se lire en commençant par le début ou par la fin : il suffit de retourner le livre pour passer de Macron (et la France), côté pile, à Trump (et le reste du Monde), côté face. C’est astucieux, presque ludique, et puis Willem veut peut-être nous dire que ce sont là les deux faces d’une même pièce de monnaie. Et que parier à pile ou face, entre le pouvoir des banquiers d’un côté et le populisme fascisant, c’est être sûr de perdre à tous coups.
Les Imbuvables nous parle donc de nos dirigeants, de leurs discours, de leurs mensonges, des jeux de pouvoir qui les occupent, mais il nous parle surtout du monde : de la réaction aux effluves nauséabondes qui monte, des migrants que nous refusons de voir et qui en meurent alors que nous vivons si bien, de la colère des opprimés et de la répression qui s’abat de plus en plus lourdement sur eux, de la planète qui brûle, des fous de dieu (pas de majuscule !) qui adorent massacrer, des murs qu’on érige partout. Pas de surprise, tout cela est dans tous les journaux ; pourtant la verve et l’indignation de Willem rendent tous ces drames, toutes ces horreurs tellement plus vivaces qu’il nous devient vraiment très difficile de prétendre que tout cela n’existe pas, que nous n’en savons rien. Que nous n’y pouvons rien.
Les Imbuvables est évidemment très drôle, mais il donne aussi envie de pleurer. L’idéal serait que, après avoir ri et / ou pleuré, chacun de ses lecteurs décide de faire quelque chose pour que ça change. Et que le prochain recueil de Willem soit petit peu moins épais, parce que notre monde serait devenu un petit peu meilleur.
PS : A noter, avec les Imbuvables, un très réjouissant (?) fascicule dépliant, offert en bonus, au titre sans ambiguïté : Covid19. Non, Willem n’est pas encore au chômage !
Eric Debarnot