Le guitariste américain Eli Winter réconcilie expérimentation et folk dans ce Unbecoming tout en pastoralisme désuet, prolongeant les recherches d’une Pauline Oliveros ou d’un John Fahey. A ranger aux côtés des disques de William Tyler.
On s’interrogera toujours sur la raison que notre attention est immédiatement happée à la première écoute d’une composition d’un musicien en solo, la faute peut-être à une forme de prise de risque absolue, à un jeu de cascades sans filet. Un pas de côté et tout l’édifice s’écroule, un doigt qui échappe à la dextérité et l’alchimie se dissout. Ecouter un tel disque renforce une impression de danger chez l’auditeur.
Le tout jeune Eli Winter surprend avec Unbecoming, cet album absolument maîtrisé et d’une maturité rare. Cet américain qui se reconnaît bien plus dans le folk anglais que celui de ses compatriotes invente ici une matière caractérielle, souvent virtuose et toujours sensuelle. Une musique jeune et impétueuse comme son auteur. Il cite à l’envie Michael Chapman, dit respecter les travaux de John Fahey mais ne pas vouloir suivre sa voie, se sent proche du guitariste de Virginie Daniel Bachman. Comme lui, il se plait à dissoudre l’espace et privilégier la dimension harmonique dans ses longues et savantes constructions. Pourtant, rien n’est intimidant dans la musique d’Eli Winter, au contraire, il est même tout à fait accueillant. C’est un peu le bon copain brillant que l’on admire secrètement qui pose là ces morceaux en cadeau avec une modestie confondante.
S’ouvrant sur Either I Would Become Ash, une longue composition de presque 23 minutes avec l’américain seul à sa guitare nylon, Unbecoming part d’une certaine forme de dépouillement pour mieux se déployer ensuite, pour laisser ses ailes se dessiner à contre-jour. Il faudra bien ces 23 minutes (que l’on ne voit pas passer) pour entrer dans ce disque qui nous invite à tout laisser à l’entrée, nos soucis et nos ennuis, Unbecoming est un disque où l’on viendrait déposer le superflu et se retrouver.
Maroon prend la tangente avec Either I Would Become Ash avec ce son de groupe comme échappé de la ville frontière de Tucson, à la fois Country Redneck et Mariachi solaire. Eli Winter nous prend à contre-pied sur ce disque perpétuellement imprévisible. Quand on sait que la surprise est une denrée rare ces derniers temps dans la musique d’aujourd’hui, on se ruera sur Unbecoming qui change d’humeur au sein d’un même morceau, foisonnant d’idées.
Ce qui est également remarquable, c’est que le guitariste Eli Winter ne souhaite pas être enfermé dans un genre et ce n’est pas ces trois titres qui viendront contredire cette impression, chacun d’entre eux semblant presqu’en conflit les uns par rapport aux autres. Dark Light (enregistré en live) en chute de disque hésite en permanence entre un orientalisme subliminal et des mouvances drone. On attendra encore un nouveau disque d’Eli Winter pour crier au génie ou au prodige car pour l’heure même si chacune des pistes prises s’avère passionnante, on ressort de ce Unbecoming avec une légère frustration, l’envie d’en entendre plus de cet auteur en construction, peut-être aussi de saisir mieux là où il souhaite nous transporter.
Greg Bod