Un plaisir pour nos oreilles, à condition d’apprécier le « noise » bien évidemment, que ce double programme Marietta – Servo, artistes pas encore (assez) connus mais impressionnants. Encore une soirée Take Me (A)out à succès !
Même si l’affiche de la soirée Take Me (A)out d’aujourd’hui est moins prestigieuse que celle d’hier soir, on a affaire à deux artistes importants de la scène française actuelle, et le public, même s’il arrivera un peu trop tard pour profiter de la première partie, sera au rendez-vous pour Servo.
19h35 : Guillaume Marietta est en solo, guitare acoustique en bandoulière (… mais les apparences sont trompeuses, on le verra vite !) et s’appuyant sur des enregistrements. Marietta, ex-The Feeling of Love, pilier – eh, oui, déjà ! – de la scène Rock de l’Est de la France, officie désormais en solitaire et vient de sortir un nouvel album à la fois bricolé et très impressionnant, “Prazepam St.”, qu’il vient donc défendre, crânement, suivant son style habituel, ce soir. Marietta exsude une “classe Rock” naturelle, entre élégance et arrogance, qui le rend immédiatement passionnant : look “Robert Zimmerman circa 1965”, et lunettes noires, avec la voix narquoise qui correspond bien au personnage, difficile de le quitter des yeux, et l’atmosphère voulue se crée très vite, en dépit d’un public injustement clairsemé. Marietta chante aussi impeccablement en anglais qu’en français, ce qui n’est pas donné à tout le monde, son phrasé particulier rendant même notre langue beaucoup plus « rock’n’roll » qu’à l’habitude.
Comme la dernière fois que nous l’avons vu, il y a un an environ, en première partie de White Fence, ce qui impressionne le plus chez Marietta, c’est… sa guitare : faussement acoustique car suramplifiée et transformée en monstrueux instrument psychédélique, cette guitare libère sur presque chaque chanson un déluge de notes magnifiques, dans lesquelles il fait décidément bon se laisser entraîner, se laisser emporter même. Psychédélique et sonique à la fois, sans se départir pour autant de son côté folk bricolé, le set de quarante-cinq minutes s’avère parfaitement hypnotique.
Pour finir, Marietta nous annonce une chanson « composée par [son] père » et se met à nous déclamer un extrait d’un petit livre noir glorifiant les vertus de la ténacité et de l’audace… les mémoires de Michael Jordan ! (le morceau, qu’il nous avait déjà interprété au Petit Bain il y a un an, est bien présent sur “Prazepam St.”, et s’intitule The Jordan’s Rules !)… Second degré, on imagine, décalage et léger – même – malaise… Marietta ne laissera personne indifférent.
20h35 : Servo, groupe de Rouen (attention à ne pas les confondre avec le groupe indie punk homonyme de Montpellier !), on les avait vus pour la première fois il y a un an et demi ouvrir pour nos chers Psychotic Monks à l’Astrolabe, et ils nous avaient déjà impressionnés. C’est peu de dire qu’ils ont fait des progrès impressionnants depuis, et on désormais la stature d’une tête d’affiche ! Bon, si le nom du groupe est tiré d’un titre du Brian Jonestown Massacre, c’est quand même plus du côté de la coldwave sépulcrale de Joy Division qu’il fait aller chercher leurs influences… Même si les références à A Place to Bury Strangers ou aux Black Angels ne sont pas hors de propos non plus…
Trio vêtu de noir jouant dans une obscurité seulement déchirée d’éclairs de lumière blanche quand la musique se met à exploser, Servo ne fait certes pas dans la pantalonnade ou la fantaisie ! Jeu scénique réduit au minimum, même si les moments de transe électrique donnent lieu à un furieux ballet convulsif, le spectacle – si on peut l’appeler ainsi – se concentre sur la seule musique. Les morceaux sont tous uniformément longs, mêlant sans peine post-punk, krautrock et fuzz. Le son est impressionnant de profondeur et d’amplitude, et le niveau sonore atteint rapidement les limites de tolérance normale du public. Est-ce cette agression sonique qui permet à Servo de transcender désormais son sombre rituel a priori peu surprenant ? Est-ce le fait que le groupe mise un peu moins sur ces rythmes dansants qui le caractérisait, et explore désormais une sorte d’emphase mi-hypnotique, mi-religieuse, qui rend le set de Servo aussi efficace ? Après quarante minutes aussi assourdissantes que tétanisantes, le public, conquis, exigera même un rappel non prévu au programme, Ô God, seul extrait du premier album dans un set qui était consacré dans son intégralité aux splendeurs effrayantes de « Alien », le nouveau disque du groupe…
Il n’est même pas 21h30, la sono de la Terrasse du Trabendo crache le I Wanna Be Your Dog des Stooges, et on se quitte les oreilles bourdonnantes en disant que la soirée a été sonique, et très, très belle…
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil
https://www.youtube.com/watch?v=8VIPrvl2ru0
La setlist du concert de Marietta :
Ether Ok (Prazepam St. – 2020)
Chewing your Bones (Basement Dreams Are the Bedroom Cream – 2004)
Ellie Jane #2 (Prazepam St. – 2020)
HumpBumpDumpPumpin (Prazepam St. – 2020)
Prazepam Street (Prazepam St. – 2020)
DMPA (Prazepam St. – 2020)
Aluminium / Câblé au plastique (Prazepam St. – 2020)
The Jordan’s Rules (Prazepam St. – 2020)
Les musiciens de Servo sur scène :
Arthur Pierre (guitare / chant)
Louis Hebert (basse / chant)
Hugo Magontier (batterie / chant)
La setlist du concert de Servo :
Pyre (Alien – 2020)
I (Alien – 2020)
Râ (Alien – 2020)
Yajña (Alien – 2020)
Soon (Alien – 2020)
II (Alien – 2020)
Encore :
Ô God (The Lair of Gods – 2016)