Soirée de l’extrême organisée par le Supersonic sur la Terrasse du Trabendo : devant un public nombreux, le meilleur comme le pire se sont côtoyés. On vous raconte…
Jauge atteinte !
Programme radical aujourd’hui pour cette soirée Take Me (A)out, longtemps menacée par la pluie, qui ne s’arrêtera qu’une demi-heure avant le début des hostilités : d’abord le duo qui excite tout le monde en ce moment, Modern Men, et ensuite l’inénarrable Noir Boy George, dont on ne parlait plus guère pourtant depuis son explosion en 2013-2014. On est prêts psychologiquement à une expérience des plus sévères, et du coup, on est surpris par le taux de remplissage de la Terrasse du Trabendo : très vite, l’entrée est fermée, la jauge étant atteinte. Est-ce le retour de vacances des Parisiens ? Est-ce un contingent messin débarqué du Grand Est pour la “Metz Noire” ? Ou est-ce tout simplement que le public Rock a fini par se rendre compte qu’il se passait des choses formidables dans le Parc de la Villette, grâce aux équipes du Supersonic et du Trabendo ?
Du bruit et de la rage…
20h30 : Modern Men, c’est Adrian, chanteur des excellents MNNQNS – avec sa classe bressonienne (« Le Diable Probablement ») et son charme irradiant – à la guitare, et Quentin, moins connu, mais qui s’avère un frontman intense et charismatique, aux machines. L’idée – qu’ils présentaient comme une sorte de plaisanterie au départ – c’est de faire de la musique qui s’inspire de plein de choses contemporaines ambitieuses : on pense aux Sleaford Mods du fait des harangues sanguines d’Adrian, mais aussi à Taxi Girl, avec l’occasionnelle poussée pop synthétique – et aussi avec le look d’Adrian, bien sûr… (Et puis, comment ne pas prendre le nom adopté par le duo comme une référence aux “Jeunes Gens Modernes” des années 80 ?). On frôle l’industriel quand les deux complices frappent de manière martiale sur une table et un tuyau métalliques, puis on se permet une incursion dans le punk rock à guitare énervée. Les voix semblent occasionnellement frôler le chant religieux… Bref, c’est tout et n’importe quoi, mais ça fonctionne impeccablement bien. Malgré l’option bruitiste, il y a des vraies chansons qui accrochent l’oreille, et il y a aussi cette saine rage que mérite tellement notre monde en pleine déliquescence. Nous, devant la scène, tour à tour fascinés et excités, on passe 35 minutes passionnantes. Modern Men, on en reparlera très vite, car ça fait du sens, et c’est très beau. Merci à Quentin et Adrian !
Punk ! Punk ?
Noir Boy George, c’est une toute autre histoire. C’est très punk bien sûr de monter sur scène à 21h45, avec 15 minutes de retard alors que le temps est quand même compté, qui plus est bien imbibé déjà à la vodka et à la bière. C’est encore plus punk d’avoir des problèmes techniques à répétition, de faire un peu tout tomber par terre au cours du set, de se faire plaquer au sol en pleine chanson par un pote tout aussi alcoolisé. On est bien d’accord, là-dessus. Le problème quand même, c’est que ça décourage le public – hormis les fans hardcore qui sont aux anges – et ça fait même rire, puis fuir, pas mal de gens pourtant de bonne volonté. Finalement, l’humour du lamentable, ça atteint très vite ses limites. Bon, je sais, on me répondra que c’est de la provoc’, et que nous n’avons pas le sens de l’humour…
Sauf que, si le cirque de Noir Boy George nous a autant énervé, c’est que ce mec a un talent formidable. Et que c’est donc rageant de le voir le gâcher en jouant au débile profond. Durant les quarante-cinq minutes de ce que l’on peut difficilement qualifier de set, il y a eu deux ou trois moments où on a frôlé l’extase. Oui, oui ! Bon, l’extase dans la noirceur, mais l’extase quand même. Quand la conjonction de cette espèce de bouillie électronique sursaturée que crache la machine de Noir Boy George, et de ces mots terrifiants qu’il déclame crée un sentiment de douleur infinie : « Plus jeune mon père me disait / « On te retrouvera dans le caniveau / Une aiguille plantée dans le bras / Et tu vivras sous les ponts » / Putain, mon père, ce mec / Qui a eu tort toute sa putain de vie / Pour une fois il avait raison ! /… / Car je suis Messin plutôt que Français / Pédé plutôt que Français / Bougnoule plutôt que Français / Sidaïque plutôt que Français… ». Et, d’un seul coup, par exemple sur A l’Est de ton Cœur, vraiment bouleversant, ou sur le final (Amour Noir ? je ne suis pas sûr…), ce que fait Noir Boy George devient purement et simplement vital. Exceptionnel.
« Enculé de Messin ! »
Et puis il retombe dans le grand n’importe quoi, le second degré (?) inepte : brailler « Ton bébé congelé ! » devant des spectateurs qui ricanent, ce n’est pas vraiment punk, finalement, c’est juste trop… facile. A la fin, quand Noir Boy George disparaît (pour aller boire un autre coup ?), un mec derrière nous hurle : « Enculé de Messin ! Enculé de Messin !) ». Et c’est exactement ça que j’ai en tête. Avec Noir Boy George, le Rock français tient un talent unique, c’est vraiment trop bête de le noyer dans l’alcool et la dérision.
Grosse expérience en tout cas ce soir, et toutes nos félicitations au programmateur de ces soirées Take Me (A)out pour la pertinence et l’acuité de ses choix !
Texte et photos : Eric Debarnot