Après El Hijo, Sebastián Schindel revient avec les Crimes qui nous Lient, un drame profond, dissimulé derrière une fausse simplicité révélant beaucoup de choses sur la société argentine.
L’une des vertus – pas toujours célébrées – de l’expansion de Netflix est son rôle de producteur et de distributeur de « films du milieu » – entendons par là, comme les Cahiers du Cinéma le définissaient à l’époque, un cinéma qui ne soit ni purement d’auteur, ni de blockbusters à gros budgets – dans nombre de pays… Et donc de nous offrir l’accès à des cinématographies finalement peu distribuées, même dans les réseaux Arts & Essais français. Et finalement, de respirer un air différent de celui, bien « confiné » finalement, du cinéma commercial US.
Nous avions déjà apprécié le précédent film du jeune réalisateur argentin Sebastián Schindel, El Hijo (The Son), déjà disponible sur Netflix, mais ces Crimes qui Nous Lient (Crímenes de familia, en VO) confirment la pertinence d’un cinéma à la fois modeste dans ses effets et terriblement pertinent quant aux questions qu’il soulève, à la fois sur la société argentine (…mais pas que…) et sur nos propres choix, et ici, nos… aveuglements.
Après un faux départ – pas forcément judicieux – qui nous laisse imaginer un thriller (une scène récurrente qui dévoilera peu à peu l’un des deux « crimes » dont il sera question), Les Crimes qui nous Lient va accompagner une bourgeoise « portègne » (de Buenos Aires) qui va devoir s’impliquer dans deux procès se déroulant en parallèle, et concernant deux personnes-clé de son existence : son fils, bon à rien accusé du viol de son ex-épouse, et sa bonne, pauvre femme analphabète. Remarquablement interprétée par la grande Cecilia Roth, l’une des ex-égéries de Pedro Almodovar (rappelez-vous de Tout sur ma Mère…), Alicia va d’abord faire un choix – logique selon son point de vue, naturellement – qui va s’avérer moralement désastreux. Et va ensuite prendre la décision de réparer les conséquences de ce choix.
https://youtu.be/jlS78f4XcSY
Si l’on peut parler d’une possible « surprise » pour certains spectateurs au moment de la révélation d’une vérité finalement assez évidente, Schindel ne s’abaisse pas à en faire un véritable « twist » – ce procédé narratif tellement à la mode aujourd’hui qu’il en devient lassant. Il préfère nous conduire patiemment au côté de son héroïne vers la révélation progressive de la vérité, derrière l’apparence policée d’une (fausse) stabilité bourgeoise : corruption du système policier / judiciaire, injustice sociale (criante à travers le déséquilibre entre les deux sentences prononcées), fragilité de relations d’amitiés, voire de couple, facilement ébranlées par les circonstances, etc. Qui connaît un peu l’Argentine verra également dans la fiction – tirée de fais réels, ce qui est un argument un peu facile, on le sait – les maux endémiques de cette société qui ne se porte pas bien : l’explosion de la violence domestique, la confusion morale et religieuse autour de l’avortement, et bien entendu, on y revient, le niveau élevé de corruption institutionnelle.
La décision finale, courageuse et pas si simple, qui sera celle d’Alicia, permet en outre au film de construire in extremis un lien fort entre trois mères, victimes, chacune à son niveau, des hommes et de la violence de la société à leur égard. Et de terminer ce beau film, faussement simple – pas d’excès de mise en scène, pas de formalisme dans une narration toute entière tournée vers l’efficacité et l’empathie – sur une note d’espoir.
Eric Debarnot