Avec des titres déjà parus ou sur le point de l’être, cette rentrée nous réserve de beaux moments de lecture en perspective, après plusieurs mois de blackout quasi-total dans le monde du neuvième art. Une respiration peut-être salutaire.
Kent State – Quatre morts dans l’Ohio – Derf Backderf (Ça et Là, 10/09/20)
Une des sorties les plus attendues. Backderf y évoque la contestation contre la guerre du Vietnam aux États-Unis dans les années 60-70, à travers la sanglante répression qui s’était exercée contre les étudiants sur le campus de l’université de Kent State. L’événement avait eu des répercussions dans tout le pays, contribuant à retourner l’opinion publique vis-à-vis de l’engagement des USA dans cette guerre. Un travail de mémoire salutaire à l’heure où les forces réactionnaires, soutenues par Trump, s’arcboutent sur leurs certitudes, deux mois avant les élections présidentielles.
L’Appel de Cthulhu – Gou Tanabe (Ki-oon, 17/09/20)
Gou Tanabe poursuit son gigantesque travail d’adaptation des œuvres de Lovecraft. Cette fois, c’est L’Appel de Cthulhu qui renaît sous les pinceaux de l’auteur nippon. Œuvre fondatrice de l’écrivain américain, autant dire que ce titre est extrêmement attendu. On peut se demander ce que Tanabe va faire des passages les plus controversés où Lovecraft exprime un racisme « explicite et candide », qu’il convient de remettre dans le contexte de l’époque…
Le Repas des hyènes – Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag (Delcourt, 02/09/20)
Maintes fois retardée depuis un an, Le Repas des hyènes sort enfin. Deuxième collaboration entre Aurélien Ducoudray et Mélanie Allag après L’Anniversaire de Kim Jong-Il, une œuvre remarquée à sa sortie en 2016 et unanimement saluée par la critique, on a hâte de découvrir ce conte initiatique africain qui traite de la mémoire face aux bouleversements du monde.
La Dernière Rose de l’été – Lucas Harari (Sarbacane, 26/08/20)
Après L’Aimant, qui avait produit son petit effet il y a trois ans, Sarbacane nous propose le deuxième opus de Lucas Harari. Celui-ci abandonne l’ambiance montagnarde hivernale pour épouser la douceur maritime estivale. Il nous sert un récit policier intimiste aux accents « nouvelle vague », en conservant toujours cette dose de mystère qui semble être sa marque de fabrique. Sans parler de la ligne claire impeccable, l’objet étant fourni dans un écrin luxueux, comme sait le faire l’éditeur.
Mangez-le si vous voulez – Dominique Gelli (Delcourt, 02/09/20)
Jean Teulé continue décidément à séduire les auteurs de bande dessinée. Dominique Gelli s’empare de l’un de ses romans les plus noirs, qui raconte un fait divers du XIXe siècle figurant dans les annales judiciaires françaises. L’histoire hallucinante d’un lynchage par une foule aussi patriote qu’enragée, lors de l’invasion prusse en 1870.
La Fuite du cerveau – Pierre-Henry Gomont (Dargaud, 18/09/20)
Tout nouvel album de Pierre-Henry Gomont fait désormais figure d’événement. Cette fois, l’auteur de Pereira prétend et de Malaterre se lance dans un road novel drolatique et échevelé, avec pour thème, excusez du peu : le cerveau d’Einstein ! Inspiré d’une histoire vraie, ce récit propose une réflexion passionnante sur la complexité de l’âme humaine, et de la part de Gomont, on ne peut évidemment s’attendre qu’à du tout bon !
Beate et Serge Klarsfeld – Pascal Bresson et Sylvain Dorange (la Boîte à bulles, 09/09/20)
Brillamment mis en images par Sylvain Dorange, ce récit de Pascal Bresson retrace le parcours impressionnant des époux Klarsfeld, qui, en souvenir du père de Serge mort dans les camps, ont œuvré toute leur vie pour traquer les nazis criminels de guerre qui trouvèrent refuge dans des États « bienveillants », en toute impunité. Un hommage fort et important pour la mémoire collective, un hommage à tous les justes de ce monde.
Carbone et Silicium – Mathieu Bablet (Ankama Editions, 28/08/20)
Après le très remarqué Shangri-La, Mathieu Bablet nous propose un nouveau récit sur le thème de l’intelligence artificielle, dans un contexte où l’Homme est confronté à l’éventualité probable de sa propre disparition, par suite de catastrophes climatiques et de bouleversements politiques et humains. Les robots sauveront-ils le monde et leurs propres créateurs ?
Le Roi des oiseaux – Alexander Utkin (Gallimard, 26/08/20)
Nouveau venu dans la bande dessinée, le Russe Alexander Utkin revisite un conte du folklore de son pays, où l’aventure le dispute au merveilleux, en grande partie grâce au trait enchanteur de son auteur, magnifié par une mise en couleurs de toute beauté.
Un peu d’amour – Lewis Trondheim (L’Association, 19/08/20)
Il aurait été étonnant que cette liste ne puisse inclure Lewis Trondheim, stakhanoviste de la BD récemment célébré par une rétrospective à Angoulême, mais visiblement pas décidé à se reposer sur ses lauriers. Il vient de publier le quatrième tome des Nouvelles Aventures de Lapinot (déjà !), où il est question (toujours) d’amour, d’amitié, et d’observation critique du monde contemporain.
Mon père, cet enfer – Travis Dandro (Gallimard, 26/08/20)
Dans cette œuvre autobiographique, Travis Dandro évoque son enfance aux côtés d’un père junkie, d’un beau-père alcoolique et d’une mère dépassée… Difficile de garder son innocence dans un tel contexte, Avec sensibilité, l’auteur raconte comment, par le pouvoir de l’imagination, il parvenait à échapper à ce milieu fait d’addiction et de violence. Un récit cathartique tout en nuances qui privilégie l’empathie plutôt que le jugement et la rancœur.
Anaïs Nin – Sur la mer des mensonges – Léonie Bischoff (Casterman, 26/08/20)
Coutumière des adaptations des romans de Camilla Lackberg, Léonie Bischoff s’est attelée cette fois à la biographie de l’écrivaine Anaïs Nin, qui fut l’une des premières femmes à se lancer dans la littérature érotique. L’autrice suisse ne s’est pas contentée de fabriquer un récit linéaire. Elle y a au contraire adjoint des séquences oniriques mises en valeur par un trait léger et gracieux et une très belle mise en couleurs.
Après le monde – Timothée Leman (Sarbacane, 19/08/20)
On termine avec ce qui s’annonce comme une très belle découverte, celle d’un auteur qui publie sa première bande dessinée chez Sarbacane. Timothée Leman y fait preuve d’un talent graphique impressionnant, doublé d’une maîtrise du noir et blanc, qui laisse littéralement sans voix. Il suffit de feuilleter les premières pages pour s’en rendre compte. Reste l’histoire, non encore lue à Benzine, qui raconte le parcours de deux enfants se réveillant seuls dans un décor post-apocalyptique…