Depuis une vingtaine d’années, l’américaine Josephine Foster cumule les grands disques, certains s’aventurant dans l’abstraction, d’autres tutoyant plus le classicisme et l’académique, certains difficiles d’accès et d’autres immédiatement amis. No Harm Done, cette belle surprise de fin d’été est de cette seconde catégorie, des albums empathiques à la paresse généreuse.
Elle est parfois difficile à déchiffrer, à suivre la beauté. Elle ne se pare pas toujours des plus beaux atours, elle ne réclame pas toujours un port de reine ou un maquillage tapageur. Parfois, seulement parfois la beauté est à aller chercher ailleurs, dans ce minuscule intervale, cet espace infime entre modestie et sophistication. La beauté parfois ressemble aussi à une voix qui dit et exprime tout sans trop user des mots. Cet organe, cet outil, cette voie de communication qu’est le chant dit tant avec peu, un frémissement ou un tremblement suffit à faire monter les larmes. Ecoutez-donc I Can Hardly Spell My Name de Lambchop sur leur chef d’oeuvre Is A Woman (2002) et la voix de Kurt Wagner qui se brise sur Moderation On Vacation, cette simple phrase sans qu’on ne sache pourquoi, d’ailleurs on ne le saura jamais sans doute et voulons-nous le savoir d’ailleurs ?
La voix de Josephine Foster exprime tant de choses et peut passer d’un registre à un autre en un soupçon de secondes, d’une berceuse susurrée à une sophistication affirmée pour mieux nous perdre dans son abstraction fantasque. C’est ce qui la rend parfois d’ailleurs difficile à suivre car Josephine Foster ne se laisse pas cueillir ainsi, un disque de la dame demandera toute votre attention ou ne se laissera pas prendre. Que ce soit avec Victor Herrero, son compagnon de scène et de vie ou plus résolument en solo ici, Josephine Foster est une personnalité bien trop riche pour s’enfermer dans une personnalité par trop prévisible. Ce qui explique que certains de ses disques soient pareils à des anguilles qui glisseraient entre nos doigts. Il nous sera bien difficile de les classer, il sera mal aisé également d’y entrer avec un confort bourgeois.
Ce qui irrigue sa musique depuis ses débuts, c’est une ambition discrète mais bien présente qui la fait basculer entre Honky Tonk et Folk sépulcral, n’oublions pas que la dame qui s’est fait ses armes lors de mariages où on l’imagine aisément reprendre de vieux airs mexicains se destinait à être cantatrice, rien de moins. Car assurément, ce qui saute aux yeux sur un album de Josephine Foster, c’est cette technique dans le chant qui la rapproche bien plus des lieder romantiques que du seul Folk.
Autre élément troublant dans l’univers riche de Josephine Foster, c’est cette intemporalité, un disque de Foster aurait aussi bien pu sortir dans les années 30 du vingtième siècle que dans les années 40 du vingt et unième siècle. Pourtant, à y écouter de plus prés, on se rend compte dans les détails que la dame est bien de son temps mais aussi qu’elle cherche à s’inscrire dans le temps. Ce qui a de fabuleux dans l’expression musicale c’est qu’elle permet la description d’une féminité plurielle. A elle seule, Josephine Foster n’est pas une seule femme mais une multitude d’identités qu’elle parvient à faire émerger de son seul chant. Qui y-a-t-il de plus beau que le média musical qui nous permet de nous lover dans la douceur toute enfantine d’une Karen Peris ou d’une Joni Mitchell pour ensuite nous laisser happer par la fascination qu’impose malgré elle Josephine Foster ?
No Harm Done, son nouvel album sera à ranger dans la catégorie des disques les plus accessibles de la dame à l’image de I’m A Dreamer (2013), son oeuvre la plus connue. Sur ce disque volontiers nonchalant, Josephine Foster compose des ballades à l’académisme trompeur (comme toujours chez elle), entre réminiscences des Appalaches et déclamations théâtrales doucereuses. Josephine Foster chante les infortunes et les craintes avec une force et une pertinence qui force notre silence. De Freemason Drag à Conjugal Bliss ou encore Love Letter, elle ne raconte rien d’autre que ce que nous connaissons déjà, sans doute qu’entre d’autres mains, ces chansons n’auraient pas la saveur ni le goût qu’elle leur insuffle. Tout cela ressemblerait à des complaintes pitoyables, vaguement mortifères ou complaisantes. Rien que par la magie de sa voix et l’économie de moyens qu’elle emploie, Josephine Foster emporte tout.
Josephine Foster tente de créer en 2020 un nouveau répertoire, une nouvelle tradition, une musique qui s’appuie tout autant sur le passé et les vieux anciens que sur l’envie de laisser la vie s’infiltrer entre chaque note. Assurément, dans une trentaine d’années, les disques de l’américaine seront redécouverts par un digger, sans aucun doute une génération se retournera vers nous en nous disant « Mais comment avez-vous pu passer à côté de cette personnalité si singulière ? « , on ne saura trop quoi répondre… Peut-être que la vraie beauté ne se partage pas et se garde pour soi, peut-être.
No Harm Done est sans aucun doute possible l’un des disques « Folk » de 2020 (pas sûr que l’américaine apprécie le terme), il serait absolument injuste de passer à côté.
Greg Bod