Méconnue en Europe, l’américaine de Nashville Gretchen Peters s’attaque au répertoire d’une légende elle-aussi méconnue en Europe : Mickey Newbury. Sans cette dernière pas de Bruce Springsteen ni de Bill Callahan peut-être. Elle est une icône aux Etats-Unis alors que nous sommes une poignée à le connaître ici. Ce disque fait plus que de reprendre ces chansons, elles rendent hommage avec une belle justesse à un parcours de vie traduit en musique.
C’est étrange de découvrir parfois qu’un artiste que l’on croyait ne pas connaître nous accompagne depuis toujours à travers des reprises de chansons de son répertoire. Il ne faut pas oublier aussi que parfois des créateurs se sont mis au service d’autres musiciens plus médiatisés qu’eux pour donner une incarnation plus publique à leurs chansons.
Mickey Newbury, vous le connaissez sûrement sans même le savoir. Il était à la Country un peu ce que Frank Sinatra était au Croon, un grand créateur de standards et de chansons tellement inscrites dans notre quotidien qu’elles nous reviennent presque malgré nous alors que nous sommes sous la douche, à vélo. Des chansons qui relèvent de l’inconscient collectif, qui font consensus et sens, qui sont des symboles de notre communauté et de notre histoire. Mickey Newbury a été repris mille et une fois, parfois au point que l’on oubliait qu’il était l’auteur des dites chansons. Il fut un des pionniers de ce que l’on n’appelait pas encore l’Americana au début des années 60. Auteur d’une série d’albums tous plus beaux les uns que les autres, il nous a quitté en 2002 des suites d’une fibrose pulmonaire non sans laisser une empreinte vivace chez nombre de musiciens.
Pourquoi alors est-il alors si méconnu en Europe ? Peut-être qu’il y a quelque chose d’éminemment américain chez lui qui fait office de repoussoir pour ceux qui ne font que survoler sa discographie, ils n’y voient alors qu’une vision redneck et passéiste. Ce sont ses fans qui en parlent le mieux, peuvent-ils avoir tort les Bonnie Prince Billy, les Paul Mac Cartney ou les Bill Callahan qui le considèrent comme l’un des plus grands mélodistes de l’histoire de la chanson américaine ?
L’américaine de Nashville Gretchen Peters reprend tour à tour Mickey Newbury avec ferveur, avec respect ou avec mansuétude. S’attaquant au large spectre d’une discographie qui s’écoule sur quatre décennies, elle s’empare aussi bien des tubes de son aîné comme de chansons moins connues. Il sera difficile de ne pas faire un lien entre ce disque et les travaux des Cowboy Junkies de Margo Timmins non seulement pour cette proximité entre les deux voix mais aussi pour cette nonchalance toute américaine. Considérée par chez elle comme l’une des plus grandes artistes de la scène Country (en version mainstream), elle a collaboré aussi bien avec Neil Diamond que Bryan Adams (beurk ! ). Elle a cette expérience commune avec Mickey Newbury d’avoir aussi écrit pour les autres et d’être restée longtemps dans l’ombre au profit d’autres musiciens. Comme lui, elle a connu cette foi dans ses seules chansons, peu importait qui les interprétait, ce qui comptait était qu’elles soient entendues.
En s’emparant de ces chansons, celles d’un autre, elle ose incorporer une forme de féminité dans ces instants de dérives, d’histoires d’amour impossibles et d’adieux inéluctables. Elle reprend certaines chansons en respectant au plus prés chaque note, chaque frémissement dans la voix quand dans d’autres instants, elle étire le propos et y incorpore des mouvements félins.
The Night You Wrote That Song The Songs Of Mickey Newbury,dans ses ruptures et ses changements de cap, finit par ressembler à une odyssée dans l’histoire de la musique américaine. Ici tutoyant le minstrel show, là le gospel, ici ravivant le souvenir d’Hank Williams, là celui de Kris Kristofferson ou de Townes Van Zandt, compagnons de route de Mickey Newbury, Gretchen Peters assume un disque lettré, référencé qui s’autorise des libertés avec son modèle. Car la musique intemporelle accepte tous les écarts, elle peut se pervertir pour n’en sortir que plus belle.
Si ce disque permet à certains de découvrir le répertoire de Mickey Newbury, il aura atteint son but. Vous qui ne connaissez pas les chansons du monsieur, vous n’avez pas conscience de la chance que vous avez car c’est un continent tout entier qui s’ouvre devant vous.
Greg Bod