Avant de s’attaquer aux productions de la rentrée, il nous paraissait essentiel de revenir sur ce récit du talentueux Timothé Le Boucher. Un thriller captivant mené avec brio.
Six ans après avoir échappé au tueur qui décima sa famille, Pierre Grimaud se réveille d’un long coma. La rééducation s’annonce difficile, mais le jeune homme semble avoir conservé ses facultés mentales. Pourtant, les cauchemars liés à cette terrible nuit restent vivaces. La psychologue Anna Kieffer, spécialisée dans les questions de criminologie, va tenter d’aider Pierre à surmonter ce traumatisme, alors que les circonstances de la tuerie restent mystérieuses, le meurtrier n’ayant jamais été appréhendé…
Timothé Le Boucher, auteur très en vue depuis le surprenant Ces jours qui disparaissent, publiait il y a un an Le Patient, passant de ce qu’on pourrait appeler du « fantastique intimiste » à un registre plus conventionnel : le thriller psychologique. Comme pour son ouvrage précédent, le talent du jeune prodige se mesure autant à sa maîtrise du dessin que du scénario. Sa ligne claire fine et élégante bénéficie d’un cadrage millimétré, exprimant à la perfection les non-dits en jouant à fond sur les regards et la gestuelle. Du grand art qui resserre les liens les plus visuels entre le 7e et le 9e art.
La narration elle-même est d’une extrême fluidité, dominée par un mystère constant qui maintient le lecteur en haleine jusqu’à la fin, et applique à merveille les codes cinématographiques du genre, sans oublier le twist final. Auparavant, Le Boucher aura pris soin de faire ressortir l’ambigüité et le côté obscur de ses personnages pour mieux nous laisser sur le qui-vive.
On pourra légitimement mettre un bémol, mais pour en parler, il conviendra de conseiller au lecteur de cette chronique qui n’aurait pas lu l’ouvrage de ne pas lire la phrase qui suit. [SPOILER] Après avoir refermé ce pavé envoûtant (292 pages tout de même !), on peut s’interroger sur la crédibilité de l’intrigue. Le jeune Pierre, manipulateur cynique doté d’une intelligence supérieure, aurait-il réellement pu demander à sa sœur d’ajuster sa force pour ne pas lui asséner de coups mortels, mais suffisamment dosés pour le faire tomber dans un coma de six ans, sans risque d’y perdre des facultés cérébrales ? Car on constatera que lorsque le jeune garçon émerge de son coma, il semble avoir conservé intacte son intelligence hors normes, si ce n’est une légère amnésie… [FIN DU SPOILER].
Bref, chacun se fera son opinion sur le sujet, mais quoi qu’on en pense et malgré ce que l’on peut considérer comme une légère incohérence, l’intrigue est plutôt bien ficelée, mais surtout, les personnages, TOUS les personnages sans exception, sont extrêmement bien campés. L’histoire, que l’on n’oubliera pas de sitôt, est assez dérangeante, notamment par le jeu trouble voire un peu malsain entre Pierre et sa jolie psychiatre (qui pourrait avoir l’âge de sa mère), fascinée et un brin amoureuse de son jeune patient et de sa personnalité extraordinaire, [SPOILER] qui rappellera quelque peu les « liaisons dangereuses » entre Hannibal Lecter et Clarice Starling dans Le Silence des agneaux. [FIN DU SPOILER]
Laurent Proudhon