I Like Trains raconte encore et toujours l’Angleterre en souffrance, celle vue dans la série Years And Years, entre crainte du lendemain et rejet de l’autre, ce corps étranger qui cherche à parasiter la conscience et l’identité. Sur Kompromat, leur nouvel album après une trop longue absence, ils se réinventent dans une hargne toute actuelle.
Huit ans séparent The Shallows de Kompromat, une absence pareille à une éternité pour I Like Trains, les anglais de Leeds, une absence plutôt paradoxale pour un groupe en pleine ascension. Paradoxale, peut-être mais assurément courageuse. Il leur aura fallu bien huit ans pour remettre tout à zéro. Pourtant, quand on écoute chacun des quatre albums qui constituent la discographie du groupe, il faut bien reconnaître que chaque disque est à prendre comme une entité propre, comme une identité de circonstances. On aurait eu vite fait de les enfermer dans une mélancolie rageuse cold-wave ou post-punk. On aurait pu les classer dans une veine pop ténébreuse.
Et si Kompromat se voulait comme une synthèse ou une addition de toutes leurs obsessions ? Ce qui est sûr, c’est que c’est un disque au charme exponentiel, un album construit comme un album et non pas comme une suite décousue de titres (à l’emporte-pièce). On entend encore ici une construction intelligente, mûrement réfléchie portée par la voix de leur leader Dave Martin. On le savait dès la première écoute de Spencer ¨Percival ou We All Fall Down que l’on avait trouvé dans les chansons de I Like Trains bien plus qu’une énième resucée de gimmicks cold-wave, déjà ils y incorporaient une lourdeur noise, presque doom, des effluves Post-Rock. On les aura suivi sous toutes leurs nouvelles identités sonores, on avait adoré He Who Saw The Deep (2010) et sa Pop crépusculaire.
Kompromat est un disque rageur, un coup de poing, un bilan, un règlement de comptes avec tous et tout le monde. Il faut dire que les anglais ont bien des raisons d’être en colère, le Brexit qui a divisé le pays et les consciences, le sentiment de ne plus être là où il faut qui rampe partout dans les esprits. C’est ce que cherche à décrire I Like Trains avec ces chansons nerveuses, la mélancolie restant en arrière-plan au profit d’un sentiment d’urgence. Dave Martin délaisse le chant maniéré, théâtral et dandy de Elegies To Lessons Learnt (2007) pour un spoken word plus poisseux pas si éloigné de la hargne de Jason Williamson de Sleaford Mods. On osera même un cousinage possible avec l’australien Nathan Roche (The Villejuif Underground) et Christian Quermalet (The Married Monk). Ecoutez A Steady Hand qui débute Kompromat, les ressemblances sont assez criantes.
Bien sûr, I Like Trains s’appuie sur des références bien digérées, le Wire de Colin Newman, Joy Division aussi mais les anglais y ajoutent une pointe de modernité et d’actualité, ils crachent à la tête des dirigeants d’un monde malade bien plus que d’un simple virus. Mais à écouter et à lire les textes de ce disque, on pensera au naturalisme d’un Jarvis Cocker du temps de la superbe de Pulp. Délaissant le romantisme lettré des premiers disques, I Like Trains va droit au but et crie sa rage à la face de Donald Trump, de tous ces pantins de paille. Il n’y a que les anglais pour parvenir à ce mariage réussi et élégant entre geste offensant et angoisse vomie.
On entendra sur Kompromat la veine la plus immédiatement Punk de I Like Trains à l’image de Desire Is A Mess qui n’en finit pas de se répandre en aigreur. Dig In rappellera Warsaw acoquiné aux premiers Cure quand Prism ranime la première période de I Like Trains et réveille le chant de Dave Martin. Kompromat est cyclothymique, désabusé et irascible, il n’est jamais aimable et ne fait rien pour être aimé. Il ne nous charme pas, il dit les choses abruptement, sans détour ni distance comme sur ce Patience Is A Virtue au titre mensonger. A Man Of Conviction pourrait sortir des sessions d’enregistrement de He Who Saw The Deep, on y entend la même peur sourde.
Kompromat est divisé en deux parties distinctes, les cinq premiers titres rageurs et incisifs, les cinq autres laissant transpirer une mélancolie plus abordable, donnant quelques points d’accroche à l’auditeur habituel de I Like Trains, le merveilleux New Geography étant sans doute le point d’orgue de cette seconde partie.Sur The Truth, on retrouve cette hargne sociale, cette envie de se colleter et de se battre avec l’inertie ambiante. Eyes To The Left accompagnée d’Anika se pose là en conclusion avec sa torpeur étrange, presque psychédélique, cette magie noire à la manière d’une Anne Clark ou d’une Anna Von Hausswolff.
Kompromat est un disque malaimable, hargneux, un disque de mauvais garçons, un geste rageur, mais au moins il y a un geste face à l’immobilisme ambiant. Un disque d’époque qui raconte notre temps et auquel on reviendra dans les années prochaines avec l’impression tenace d’y voir une photographie de 2020. Un grand disque !
Greg Bod