Ghost Kid nous entraîne dans un beau et long voyage qui nous éloigne de la civilisation, pour rejoindre un monde certes sauvage, mais peut-être moins cruel que le nôtre.
Tiburce Oger nous plonge dans un univers implacable qui tente, maladroitement, de se civiliser. L’Ouest change, n’accueille-t-il pas, au fil des pages de l’album, des barbelés, un vélo, des derricks ou une voie ferrée ? Le héros de son précédent album, Buffalo Runner, était un vieux tueur qui tentait de protéger une jeune orpheline. Son nouveau personnage, « Old Spur » Ambrosius Morgan, est un vacher solitaire qui, sur le tard, apprend qu’une conquête d’un soir lui a donné une fille. Celle-ci, aujourd’hui jeune fille, est portée disparue près de la frontière mexicaine. Après avoir récupéré son Colt et envoyé ad patres une poignée de crapules, il se lance à sa recherche.
Avec des hors-la-loi et des indiens, des prostituées et un officier de cavalerie, l’histoire est d’un classicisme absolu. Le récit linéaire enchaine un voyage, une quête, une rédemption et une vengeance… Seulement, Old Spur a vieilli et le misanthrope a mal au dos. Le monde lui est hostile : « Qu’elle me fiche la paix, ta civilisation ! On n’a jamais pu se comprendre elle et moi… » Contrairement au sombre héros d’Impitoyable, il n’a pas perdu la main au pistolet. Tout au plus, tire-t-il moins vite. Il est contraint de dégainer en premier. Les personnages d’Oger ne sont pas manichéens. Tous, ou presque, cachent une part d’ombre. Old Spur perd la vue et ses chevaux. Un jeune indien fantomatique et mutique se porte à son aide, il sera ses yeux.
Que ce soit dans la neige ou dans les étendues désertiques, le dessin est somptueux. Il mêle le réalisme de décors délicatement travaillés à l’expressionniste de ses trognes. Ses couleurs peuvent se faire, dans un ciel torturé ou une ravine échevelée, baroques. Ainsi, Oger nous offre une extraordinaire séquence de dressage, vive, haletante et criante de vérité. Il prend son temps – pas moins de sept pages – pour une anecdote que d’autres, trop pressés, auraient traité en trois cases. Pourquoi ? Probablement pour nous forcer à admettre que la nature est magnifique et que la barbarie est, toujours, d’origine humaine.
Accroupi, les coudes sur les genoux, le Ghost Kid fixe Old Spur de ses yeux grands ouverts. Ce n’est qu’à la toute dernière page, qu’apaisé, il sourira. Et vous avec.
Stéphane de Boysson