Avec Le procès du cochon, Oscar Coop-Phane fait le procès de l’homme, de la violence des sociétés humaines qui n’a jamais disparu, jamais été abolie. A lire ou à relire, au début de ce siècle écologique ?
Le procès de l’homme
Le procès du cochon d’Oscar Coop-Phane – paru initialement en 2019 chez Grasset – a beau être un livre court, ça n’en reste pas moins un livre dense et qui frappe. Fort. Et qui travaille. Vous pouvez avoir avalé ses 110 pages en quelques heures, elles vont revenir. Au milieu d’une nuit tranquille, ou en traversant un passage clouté ou, peut-être, en répondant au téléphone pour une conversation anodine. A un moment banal du quotidien, alors que le cours de la vie a repris et où vous ne vous y attendez plus. Le procès du cochon reviendra vous travailler car il frappe fort et il frappe où ça fait mal. Le procès du cochon fait notre procès. Le procès de l’homme.
Animal ou humain ?
Certes, il y a un cochon tueur. Plutôt il y a un meurtre commis par un individu dont on ne sait rien et qui pourrait être un être humain, un vagabond vivant dans les bois et dans la fange. Animal ou être humain ? Si ce n’était à cause du titre, on ne saurait pas. Oscar Coop-Phane joue longtemps sur ambiguïté. Et on n’apprend que le cochon est un cochon qu’au détour d’une phrase, de manière quasi-anecdotique, comme si cela n’importait guère, comme si la frontière entre homme et animal n’existait pas, était fluctuante.
D’ailleurs, la frontière fluctue en permanence au cours du roman. Animal ou être humain ? Ce n’est jamais clair.
En prison, où le cochon est traité comme une bête par des gardiens peu chaleureux – qui traitent probablement les autres prisonniers de la même manière. Lors du procès, où le cochon est traité comme un être humain alors qu’il ne peut parler et donc pas répondre aux questions – seul l’avocat commis d’office pour défendre ce meurtrier un peu spécial est mal à l’aise, ne sachant comment faire pour faire son devoir. Quand il est exécuté par un bourreau extrêmement méticuleux – et extrêmement humain, l’un des personnage les plus humains de l’histoire, avec l’avocat – devant une foule venue assister à un spectacle et qui laisse tranquillement ses instincts les plus bas s’exprimer. Comme dans la scène finale. Qui laisse songeur. Qui fait peur. Serions-nous capable de ça ? En réalité, nous l’avons déjà été. La violence qu’Oscar Coop-Phane libère n’a jamais été abolie. Et c’est bien ce dont il s’agit ici.
La violence? Toujours là, dans les sociétés humaines
Effrayé des guerres civiles qu’il voyait se succéder depuis une dizaine d’années, Thomas Hobbes a écrit le Leviathan – Leviathan, or The Matter, Forme, & Power of a Common-wealth Ecclesiasticall and Civil (1651). L’évidence était là, la preuve irréfutable : l’homme n’est pas bon ; l’homme est violent et l’état de nature – la fameuse guerre de tous contre tous – est toujours possible. C’est aussi ce que nous dit Oscar Coop-Phane.
Rassurez-vous, Le procès du cochon se lit comme un roman. La langue est belle, sobre et suggestive – comme celle d’un Claude Seignolle. Elle sent la campagne, le petit bourg boueux, les mesquineries et les plaisirs fourbes. Elle ne sent pas la rose, non.
Mais, Le procès du cochon est un livre puissant qui va bien au-delà du procès d’un cochon – il est d’ailleurs très décevant que soit mis en avant, dit et souligné, répété, de chronique en résumé et de résumé en chronique, que ce livre nous raconte le procès d’un cochon. C’est faux et réducteur. Qu’on ait jugé, tenu pour responsable et condamné des animaux n’est ni ridicule, ni surprenant, ni dégoûtant – encore moins à une époque où la conviction est fermement établie que les animaux – et même les arbres et le plantes – ont des émotions. Il est temps de présenter Le procès du cochon pour ce qu’il est : un livre qui nous raconte la violence des sociétés humaines. Nos sociétés n’ont pas aboli la violence. Elles l’ont organisée, institutionnalisée. Elle n’est même pas le monopole du pouvoir. Elle vient de tout côté, se niche partout. Même dans nos jeux et amusements. L’état de nature est toujours là. Il n’a jamais disparu. Le procès du cochon ne nous parle pas de temps reculés et d’instincts primaires. Il ne nous parle pas du passé. Malheureusement, non, l’homme n’est pas bon.
Alain Marciano