Enchantement que cette apparition improbable des Chiens de Faïence de Nanterre, qui reprenne sur leur Fail & Foil à très bon escient les principes de l’indie pop punky et DIY des antipodes.
Nous défendons suffisamment ici l’héritage de l’indie pop des années 90 des antipodes – le Dunedin Sound de Nouvelle Zélande, The Clean, The Chills, The Bats, Chris Knox, mais aussi la vague australienne parfaitement représentée par les superbes Go-Betweens – pour ne pas partager avec vous notre joie de leur avoir trouvé des héritiers à Nanterre. Les Chiens de Faïence, enfants du Velvet bien entendu – et en particulier de leur sublime troisième album – se sont laissé emporter par la Musique et en ont fait le centre de leur existence alors que rien ne les prédestinait, même pas la pratique préalable d’un instrument. Suivant le principe DIY (punk ?) de leurs inspirateurs, ils ont appris en jouant, ont composé en apprenant, sans autre ambition que créer les meilleures chansons possibles qu’ils avaient déjà en tête. Et le résultat, sur ce Fail & Foil qui est déjà leur second album, est un pur enchantement.
Dès l’accrocheuse ouverture de Ice-Cream et surtout de The Road (pour le moment notre titre préféré sur l’album), tout y est : la perfection des mélodies, exprimant des sentiments et des sensations simples, universelles, et la rusticité d’une musique, mi électrique, mi acoustique, qui cherche, et trouve, toujours la manière la plus juste de supporter tout cette inspiration sans la complexifier ni l’enjoliver à tout prix. Comme à Dunedin ou à Brisbane, on joue dans sa chambre, dans son garage, pour soi et pour ses amis, et on ne se préoccupe pas – encore – d’être entendus dans un monde qui paraît bien lointain.
Talk About You et Curved Legs montrent que ces Chiens de Faïence peuvent aussi accélérer le rythme et rocker, alors que Pimples Nation, foutraque et réjouissante, confirme leur admiration pour Daniel Johnston. City Tour, magnifique, prouve que l’héritage vocal de Moe Tucker reste fondamental, et c’est là un immense bonheur. Car, bien sûr, c’est avant tout le chant qui porte la musique, ici, et les voix de Boris Cuisinier et d’Harmonie Aupetit construisent de chanson en chanson un univers tendre et chaleureux, dans lequel on se sent bien, qu’on n’a pas envie de quitter lorsque l’album se referme sur un Hidden House à la fois nostalgique et confiant en un « Endless Summer »…
Bien sûr, comme chez leurs inspirateurs, les voix ne sont pas toujours justes, bien sûr certaines expérimentations avec des instruments mal maîtrisés dérapent (les claviers sur Chats Gris, la flûte sur Hidden House) mais cela fait aussi partie du charme de cette musique. Auto-produit, avec beaucoup de soin, par le groupe, Fail & Foil bénéficie d’un mastering professionnel de l’Australien Mikey Young, et n’a rien d’un album au rabais, publié qu’il est par les chercheurs d’or de Howlin’Banana Records et Hellzapoppin Records !
S’il est une question intéressante que soulève Fail & Foil, c’est celui de l’utilisation de la langue française dans ce genre de musique : les quelques tentatives ici (Dans de Beaux Draps, le refrain de Chats Gros, et surtout le (trop) long Les Temps) confirment qu’entre une maladresse qui évoquera toujours un Jean-Louis Aubert (on a été marqué à jamais, on l’avoue, par cette gêne-là !) et une magie qui rappelle les belles heures des Stinky Toys et d’Elli & Jacno, il faudra aux Chiens de Faïence trouver leur propre place.
En attendant, réjouissons-nous, nous avons un groupe « local » à aller voir jouer sur scène – enfin, quand ce sera possible – pendant que les Stroppies sont bloqués sur leur lointaine île-continent. Et ça, c’est la meilleure nouvelle surgie de la banlieue ouest depuis un bon moment.
Eric Debarnot