Un homme rencontre un homme, à Barcelone, entre hier, aujourd’hui et demain. Lucio Castro signe avec Fin de siècle un beau premier film sur la question de l’intime, du couple et de la solitude.
D’abord des petits riens, d’abord Ocho qui débarque à Barcelone, qui se perd, investit l’appartement qu’il a loué, se balade le soir, drague en ligne, se branle un peu. Regarde les gens, mange en terrasse, va à la plage… Lucio Castro, pendant une dizaine de minutes, enregistre ainsi le réel dans une magnifique rupture d’enjeux : il ne se passe rien, ou pas grand-chose, des petits riens donc, et pourtant cette captation d’une atmosphère comme en suspension (le vent dans les feuilles d’un arbre, la vie de tous les jours dans les rues, la tranquillité des parcs, la découverte d’une ville en solitaire…), révèle une belle sensibilité du moment, une conscience aiguë de l’environnement, des bruits, des lieux et de ce qui se passe autour.
Et puis Ocho repère Javi, avec son t-shirt Kiss. Ils font vite fait connaissance puis ils baisent, vite fait aussi. Puis se revoient un peu plus tard, se promènent, discutent (on pense alors au Week-end d’Andrew Haigh), et Javi lui dit qu’ils se sont déjà croisés, à Barcelone, des années auparavant. Le film retourne alors à ces années-là, ou plutôt à un souvenir, à ce souvenir d’une rencontre d’avant l’an 2000 (l’absence totale d’évolution physique des personnages, que Castro ne semble pas avoir pris en compte alors que vingt ans sont censés avoir passé, est tout de même assez gênante dans l’accomplissement de leur histoire). Souvenir d’un premier contact, des premiers mots, d’une première danse (superbe scène au son du Space age love song de A flock of seagulls) et d’un premier baiser avant un départ en douce, un matin, que viendra ponctuer à l’écran un extrait d’Au bord du gouffre (Close to the knives) de David Wojnarowicz.
Le dernier acte, après présent et passé, explorera forcément le futur, mais un futur imaginé, envisageable pourquoi pas. Une vie rêvée un instant, entre la porte d’entrée et le balcon Castro déconstruit avec habileté l’intimité qui, elle, se construit entre deux hommes sur deux journées, séparées entre elles par deux décades, un passage à un autre siècle et des géographies variables (un Argentin habitant à New York et un Espagnol à Berlin qui se rencontrent à Barcelone). C’est cet intime, perdu dans l’inexorabilité du temps, que Castro observe et interroge comme s’interrogent Ocho et Javi sur leurs envies, la parentalité, le couple et le sexe, et leur solitude enfin.
Michaël Pigé