Jun, récit empathique de l’existence d’une famille d’enfant autiste, retrouve la force et la grâce d’un L’Ascension du Haut-Mal, et ce n’est pas une mince affaire. Lecture hautement recommandée.
Le calvaire des familles ayant un enfant autiste n’est pas loin d’être le même partout, même si le développement des structures d’accueil et d’éducation varient énormément d’un pays à l’autre, et si l’ostracisation dont sont généralement victimes ces enfants va être plus ou moins violente en fonction des critères culturels locaux. En tous cas, en lisant Jun, chronique de la vie au fil des années d’une famille sud-coréenne dont le fils ainé est autiste, on a le sentiment très vif que tout ce qu’on lit ici se passerait à peu près de la même manière en France.
Peu d’exotisme donc dans ce beau récit de Keum Suk Gendry-Kim (… et c’est très bien comme ça !), si ce n’est que le talent musical hors du commun de Jun va se réaliser à travers une forme d’Art coréenne peu connue ailleurs, le pansori (une forme de récit chanté, accompagné par un seul tambour, donnant lieu à des spectacles pouvant durer plusieurs heures !), ce qui en soit est intriguant et passionnant… Et montre combien l’Art peut être à la fois libérateur et formateur, que l’on soit atteint ou non d’autisme (… mais ça, c’est une extrapolation !).
En lisant Jun, il nous est revenu le souvenir très net d’un parcours similaire effectué voilà désormais plus de 20 ans aux côtés de David B ., qui nous racontait sa vie de jeune frère d’un épileptique d’une manière finalement assez comparable : que cela soit l’impact de la maladie sur la famille et son fonctionnement qui peu à peu se centre – pour le pire parfois, mais aussi pour le meilleur – sur l’enfant « différent » et donc « en danger permanent », ou la difficulté de grandir en tant que frère / sœur à qui si peu d’attention est donnée face au drame qui phagocyte l’énergie du reste de la famille, que l’on parle des moments tragiques comme des instants heureux d’une vie qui ne sera jamais « ordinaire », c’est le même mélange d’empathie et d’anxiété qui nourrit en profondeur ces deux œuvres. Qui plus est, on peut même trouver, et c’est un hasard qui fait bien les choses, des similitudes dans le dessin, noir et blanc très structuré, ordonné, comme si au chaos de la maladie devait répondre le calme de la narration.
Bien entendu, il y a une différence fondamentale entre l’Ascension du Haut-Mal et Jun, c’est qu’ici, l’espoir est toujours permis, que demain peut être et sera meilleur qu’aujourd’hui et qu’hier. L’accomplissement de Jun comme chanteur et pianiste le mène à une certaine reconnaissance, qui ne changera rien à son isolement, bien entendu, mais offre une sorte de célébration de sa différence. Qui ne sera jamais admise par la société, mais acquiert donc presque une raison d’être.
Jun est un livre que ceux qui passent par les mêmes épreuves que la famille de Jun prendront certainement beaucoup de plaisir à lire, parce que quelque part il contribuera à son niveau à rompre un peu leur isolement. C’est surtout un livre simple, juste, émouvant qui parle avec clarté et franchise de situations qui sont la plupart du temps tenues cachées, comme honteuses, alors que la société continue d’avancer, en regardant ailleurs, à son rythme inhumain. Un livre que tout le monde devrait donc lire.
Eric Debarnot