Dans une rue longue, très longue, un enfant raconte ses errances, ses rêves et ses frustrations notamment celle de n’être jamais allé en vacances en Espagne. Un très beau et court roman signé Pierre Stival.
Depuis un certain temps, l’éditeur Cactus inébranlable avait concentré sa production autour de sa collection emblématique : « Les P’tits cactus » mais son âme et cheville ouvrière n’a pas pu résister, et on le comprend, quand il a découvert ce texte de Pierre Stival, il l’a publié dans son rayon roman en le sous-titrant : « Roman à haut potentiel poétique ».
Ce roman est en effet un texte de très haut nveau littéraire comme ceux qu’on découvre en général dans des maisons spécialisées dans la littérature dite « exigeante ». L’auteur raconte des souvenirs d’une vie antérieure quand il était enfant certainement ou un peu plus grand ou peut-être dans certains cas même adulte. Il se souvient d’une rue longue, très longue si on se fie aux numéros des maisons qu’il visite, presque toujours révélés. Il écrit ses souvenirs dans des textes courts, comme d’autres peignent des tableaux, qui se succèdent dans son roman comme ceux de Moussorgski dans son exposition.
Il déambule dans cette unique rue comme un chat errant qui sait toujours où trouver quelque chose à se mettre sous la dent, un peu de compagnie, quelques caresses douces et même un peu d’amour. Ses textes sont souvent comme la transcription des rêves récurrents qui le ramènent à cette époque où il avait la folle envie de partir en vacances en Espagne où il n’est jamais allé et où il n’ira sans doute jamais. Des rêves d’enfant qui se nourrissent de fantasmes, d’envies, de désirs inassouvis, de frustrations… A travers ses rêves, il reconstitue peu à peu cette rue maison par maison, sans oublier la maison qui se déplaçait pour voyager jusqu’en Espagne, cette rue qui fut le siège de ses déceptions et frustrations, cette rue qu’on croirait triste et sinistre mais qui ne l’est peut-être qu’à travers les souvenirs de l’enfant. « Un petit vent dans ma tête souffle sur mes souvenirs ».
Personnellement, ce qui m’a plus intéressé dans ce livre, c’est la processus littéraire utilisé par l’auteur pour faire exister son héros. Le lecteur ne sait jamais qui il est, l’auteur n’en parle que très peu. Il se contente de le dessiner en creux en décrivant minutieusement son environnement, en révélant ses souvenirs, en racontant ses rêves, comme un mouleur utilisant le procédé de la cire perdue : le sujet ne se révèle qu’après la fonte du moule. Dans ce roman, le héros se dessine peu à peu avec ses souvenirs et ses insatisfactions au fur et mesure que l’auteur décrit le milieu où il a vécu. « C’est une rue qui n’a plus ni début ni fin. Un tube de maisons, des carrefours perdus, de coins disparus, un univers clos ». Un univers qu’il n’a jamais pu quitter à bord de la caravane blanche accrochée à une Ford Taunus. Eternelle frustration, symbole de la vie qu’il a menée dans cette ville au bord de l’eau.
Denis Billamboz