In And Out Of The Light, le nouveau disque de The Apartments n’est pas une étape nouvelle vers le retour à la vie, c’est autre chose, un temps suspendu en pointillés entre mémoire trop tenace et avenir incertain.
De quoi naît parfois un sursaut de vie, une énergie du désespoir qui nous aide à sortir de nous-mêmes, à nous transcender, à atteindre l’essentiel dans ce qu’il a de primordial et de viscéral ? Comment peut-on expliquer cette force, cette puissance qui vient du tréfonds ? Comment comprendre ce refus de l’abandon sans retour possible ? Peut-être que quand on a tout perdu, on n’a plus rien à perdre, peut-être que quand on a connu toutes les frayeurs, plus rien ne peut nous effrayer. Peut-être peut-on être réceptif à tout ce qui nous entoure avec une acuité grandie, peut-être nous faut-il remplir le vide de l’absence.
No Song No Spell No Madrigal était une étape de résurrection, de renaissance pour Peter Milton-Walsh / The Apartments. Un lent processus né et sorti de la douleur, la douleur ultime avec un grand D, de celles dont on ne se relève jamais vraiment totalement, car on ne se remet jamais de la mort d’un enfant mais on poursuit son chemin à la fois seul et désarmé mais aussi hanté par le souvenir.
In And Out Of The Light, le nouveau disque de The Apartments ce n’est pas une étape nouvelle vers le retour à la vie, c’est autre chose, un temps suspendu en pointillés entre mémoire trop tenace et avenir incertain. Un disque aussi grandiose que fragile.
Un blues asexué comme délesté d’une pression de virilité, la douceur ultime avec un grand D. La musique de Peter Milton-Walsh a toujours eu à frayer avec le lyrisme et l’indicible mais elle l’a toujours dit avec une modestie et une incertitude palpable. La conjugaison de l’australien est un temps des possibles, un âge des peut-être, une éventualité des pourquoi pas. Porté par la voix traînante et sensuelle de l’auteur de certaines des plus belles pages de la Pop anglo-saxonne, celle qui a compris que l’on s’exprime sans aucun doute bien mieux avec la pertinence d’un sentiment ou d’une émotion. les chansons de In And Out Of The Light occupent totalement l’espace par leur élégance et leur classicisme assumé, ce jeu avec la désuétude.
Ce que l’on remarque sur le disque, c’est le retour des cuivres, d’une trompette entendue au siècle dernier sur le sublime A Life Full Of Farewells (1995). In And Out Of The Light s’affirme comme un disque indécis, clairement scindé en deux parties distinctes, la première partie langoureuse et mélancolique, une seconde plus fébrile. The Apartments est plus qu’un groupe, c’est une famille, une chaine d’amis qui se met au services des compositions de l’australien. une polyphonie internationale qui bascule sur tous les points des continents, l’Angleterre avec Nick Allum, la France avec la merveilleuse Natasha Penot et l’indispensable Antoine Chaperon, accompagné de l’australien Eliot Fish tous supportés par le regard bienveillant des 49 Swimming Pools et de leur leader, le journaliste Emmanuel Tellier.
https://www.youtube.com/watch?v=pB4mA9rA3XY
En ouverture, Pocketful Of Sunshine installe la scène, impose en douceur une dramaturgie toute en langueur avec cette tension sous-jacente du non-dit présente dans tous les morceaux de The Apartments. On pensera aux meilleurs moments de Fête Foraine (1996). On retrouve ce même son acoustique et dépouillé, jamais évanescent mais toujours porté par une urgence. Peter Milton-Walsh triture toujours la note bleue, le spleen comme un vieux jazzman revenu de tout sauf que chez lui, le blues est asexué comme délesté d’une pression de virilité, la douceur ultime avec un grand D.
If I could, I would
If I could, l’d put some blue sky in your head Some of us will never have thatPeter Milton-Walsh – Pocketful Of Sunshine
Il n’est jamais question de renoncement ou de posture misérabiliste tout au long de ce disque miraculeux. Que ce soit sur Write Your Way Out Of Town ou sur Where You Used To Be, Peter Milton-Walsh fait le constat que la vie n’est qu’une suite absurde, qu’une contemplation d’un monde qui n’est plus vraiment le nôtre, d’un défilé d’étés et d’un trou sans fond. On y entend Patsy Cline qui chante dans le crépuscule.
What’s Beauty To Do fait clairement suite aux obsessions musicales de Drift (1992) avec cette guitare nerveuse pas si éloigné d’un Goodbye Train. Butterfly Kiss est peut-être le sommet de ce disque aux hauteurs insoupçonnées. Peter Milton-Walsh invente un Shangri La fragile et incertain, ni vraiment refuge ni véritable abri. C’est aussi le questionnement d’un homme mûr, le possible bilan de ce qui ne se comprend jamais, cette certitude de ne jamais être certain de quoique ce soit, de cette navigation à vue à la lumière des étoiles pour éviter la pluie et la brûlure du soleil. Un homme qui ne se reconnaît plus dans le jeune homme qu’il était autrefois, dans les peurs de cet adolescent disparu et pourtant si présent.
Chaos and laughter, that’s what we went after
You ran through your life like a cat in the rain
And I played all the broken down songs
I stayed up with you. We talked through the dawnPeter Milton-Walsh – We Talked Through Till Dawn
We Talked Through Till Dawn et ses échos d’une Sandy Denny finissent de nous bouleverser In And Out Of The Light n’est pas un disque de renoncement mais il dresse le portrait d’un monde disparu, l’autoportrait de regrets incommensurables, l’analyse pernicieuse et pertinente d’échecs et de débuts avortés. I Don’t Give A Fuck About You Anymore prend même quelques accents rageurs dignes d’un Bill Pritchard.
En clôture, The Fading Light, son piano crépusculaire et la voix tremblante de Peter Milton-Walsh nous serrent la gorge à la manière du Bashung de L’Imprudence. L’australien nous arrache encore le coeur avec ces chansons à la fois limpides et énigmatiques. Il est rare de se retrouver face à la beauté à l’état pur, à cette lumière intimidante, à cette ombre un peu inquiétante. On pensait qu’avec No Song No Spell No Madrigal, The Apartments avait peut-être atteint le sommet de sa carrière, In And Out Of The Light pousse encore plus loin l’émotion dans des climats à la fois empathiques et généreux mais aussi habités par une noirceur subtile.
Seules les années nous le diront et les rides et la patine du temps que prendront ces huit chansons mais même si on n’en est pas encore sûr, on s’hasardera à parler de chef d’oeuvre pour ce magnifique septième album de The Apartments.
Assurément le disque Pop de 2020.
Greg Bod