Après Brat Pack en 2019, les éditions Delirium nous proposent The Maximortal du fascinant Rick Veitch, relecture sombre du mythe de Superman.
Pour être compris et apprécié, The Maximortal nécessite une explication de texte et un rappel du contexte historique, celui de l’hégémonie de Marvel et DC Comics sur les comics des années 1990.
Rick Veitch publie les sept épisodes en 1992/1993. Son dessin est proche de celui pratiqué par l’écurie Marvel de l’époque : un trait semi-réaliste, des contours relativement épais, des couleurs vives et tranchées. Mais, dès le premier chapitre, les différences sautent aux yeux : les onze premières pages sont muettes, les scènes de nudité frontales ou de violences brutales. Veitch appartient au groupe des « indé » des Eighties, il ne craint pas le crade, le gore ou le loufoque. Ses premiers chapitres sont confus et ses ellipses nombreuses.
Une météorite s’écrase en Sibérie Centrale en 1908. Un être mystérieux s’accouple avec un trappeur, conçoit un œuf, puis le projette dans le ciel. Dix ans plus tard, le bébé s’écrase en Californie. L’enfant est adopté par un couple de fermiers. Vous avez reconnu l’enfance de Superman. Mais notre héros est un Superman réaliste. Or, que ferait un véritable gamin doté de tels pouvoirs ? Capricieux, il mettrait le pays à feu et à sang… S’il ne se révélait pas vulnérable à la « merdonite ». 1937, deux amis créent un personnage de comics révolutionnaire. True-Man, un être venu du cosmos, est tout puissant et honnête. Hélas, leur éditeur les roule dans la farine. Après les avoir dépossédés, il bâtit une fortune colossale. Dans une ingénieuse mise en abîme, nous cheminons avec un superhéros de comics et ses créateurs. Les fils des deux récits vont s’entremêler.
Veitch ne craint aucun tabou, il s’attarde sur les problèmes récurrents de digestion du scénariste, il introduit un être coprophile, un éditeur sans burnes, un acteur vomissant sur sa partenaire, des héros de fiction (Sherlock Holmes), des personnages célèbres (Albert Einstein, Robert Oppenheimer, J. Edgar Hoover) ou moins connus (Christopher Reeves ou Jack Kirby). Pour garder de la distance, il altère leurs patronymes, ainsi Jerry Siegel & Joe Shuster, les véritables créateurs de Superman, deviennent, sous sa plume, Jerry Spiegal et Joe Schumacher. Au fil des chapitres, il réécrit l’histoire contemporaine des USA. Son immense ambition n’est comparable qu’à celle des meilleurs scénarios d’Alan Moore. Il travaillera d’ailleurs avec lui sur Swamp Thing et Suprême, une série qui reprendra la résolution finale de The Maximortal.
Plus surprenant, dans une postface, l’auteur dénonce l’attraction morbide du XXe siècle pour le surhomme de Friedrich Nietzsche. Si cette fascination est évidente sur les fascismes européens, elle lui semble tout aussi prégnante aux USA, visible notamment dans le fabuleux succès commercial des productions Marvel et DC Comics.
Plus subtil encore, Veitch introduit l’idée qu’un élément imaginaire puisse avoir une réalité, que l’imagination puisse altérer la réalité. Son Einstein pose la formule sur son tableau noir : Réalité = Croyance * Conscience². L’information est vivante et les poètes dessinent notre monde. Acceptons-en l’augure. Une lecture indispensable aux amateurs de super-héros.
Stéphane de Boysson