Elvis Perkins signe avec Creation Myths un grand disque réactionnaire recroquevillé sur ses acquis, le regard planté dans le rétroviseur et d’un Psyché Folk opiacé. Un disque qui s’apprivoise mais qui s’avère au final passionnant et tout simplement brillant.
Réactionnaire me direz-vous, quel étrange adjectif pour présenter un disque ! Oubliez le caractère péjoratif du terme. Là où l’on nous vend à chaque rentrée musicale l’émergence d’un nouvel artiste, d’un nouveau genre dont on sort toujours avec un sentiment mal aisé de déception voire de mensonge éhonté, on préfèrera peut-être revenir vers des artistes qui n’ont que faire de la hype et qui poursuivent leur chemin patiemment en prolongeant encore et encore les mêmes travaux ramassés sur leurs influences. Là ou certains se perdent dans l’expérimentation de nouvelles technologies au point de faire ressembler leur musique à un ensemble boursoufflé et suffisant, au point de n’être finalement qu’un effet de manche et de l’esbroufe, d’autres ont bien compris que l’équilibre se situe plus dans une forme de simplicité, dans un retour aux sources, dans un simple travail du format chanson, dans une réflexion méticuleuse autour de l’arrangement.
C’est exactement à cela que ressemble Creation Myths, le nouveau disque d’Elvis Perkins, bien trop méconnu. Avec ce nouveau chapitre ajouté à sa discographie proche de l’excellence, Perkins signe le disque que Beck ne signera jamais ou plus jamais ayant perdu toute sobriété créative au fur et à mesure de sa carrière. Echappant à l’écueil de nombres de disques de l’auteur de Loser, à savoir un exercice de style qui se regarde le nombril, Creation Myths pioche aussi bien dans un Flower Power opiacé que dans des structures folk qui ne dénoteraient pas chez le voisin Andy Shauf. Mettant plus la pédale douce sur l’étrangeté que Wayne Coyne et ses Flaming Lips, Elvis Perkins trousse des mélodies hasardeuses qui touchent leurs cibles à tous les coups.
Les chansons d’Elvis Perkins vont puiser dans le grand héritage européen, on pensera parfois à Ray Davies et aux Kinks période Village Green Preservation Society (1968). Etrange ironie de l’histoire de voir désormais de jeunes générations de musiciens américains qui viennent s’inspirer de cette scène British Invasion qui secoua dans son temps le cocotier et fit émerger quelque part le Glam Rock et très indirectement le mouvement Punk et Post-Punk. Creation Myths ressemble à un retour de boomerang de l’histoire.
Il y a aussi du Todd Rundgren sur ce disque caractériel aux climats mouvants. On entend ici un Elvis Perkins psyché (Sing Sing), là Soul à la manière d’Al Green (See Monkey) ou Country nonchalant (Mrs And Mr E) qui nous rappelle encore une fois pourquoi nous aimons tant le travail du monsieur depuis ses débuts. Une suite de disques plus qu’estimables auxquels il manque peut-être un chef d’oeuvre pour définitivement imposer le respect.
Pour appréhender cette incohérence assumée et inhérente à l’ensemble du disque, à ces neuf chansons, il faut peut-être aller chercher un semblant d’explication dans le titre de l’album, Creation Myths. Il faut prendre chacune de ces chansons comme autant de mythes qui se suffisent chacun à eux-mêmes. Elvis Perkins, lui-même, ne parvient pas à expliquer ce qui les lie entre elles. Ce qui est remarquable avec Creation Myths, c’est cette capacité qu’a l’album à recycler de vieilles recettes sans jamais oublier les effets de surprise, Elvis Perkins signe une œuvre à la fois académique et rétrograde mais aussi une invitation à troubler les axes.
Seul petit bémol face à cet ensemble dont l’exaltation nous fait vite oublier tous les défauts, c’est peut-être cette espèce de distanciation de Perkins face à son sujet, cette mise à distance de l’émotion comme si l’américain s’en méfiait, comme si à trop s’y frotter, le risque était de s’y piquer. Mais face à la magnificence d’un Promo (comme une chute de studio du Young Americans de David Bowie) ou encore See Through, on laisse vite de côté nos atermoiements d’enfants trop gâtés.
Anonymous en chute de disque vient nous annoncer la grande oeuvre à venir pour l’américain, à nous d’être patients, à nous de lui laisser le temps. En attendant, on ira se satisfaire avec ce brillant Creation Myths riche et somptueux.
Greg Bod