Il est des livres comme des passations de témoins, certes par procuration ou par des voies indirectes. Mais à lire Fleurs plantées par Philippe, on comprend pourquoi Dominique A a tellement aimé le groupe Marc Seberg et son leader Philippe Pascal, pourquoi à sa façon si singulière, il en poursuit l’expérience entre geste littéraire et rock, entre maturité et fébrilité.
On sait que l’on vieillit et que lentement l’âge vient appuyer de son poids sur nos épaules quand les idoles de nos jeunesses perdues disparaissent, quand inexorablement leur souvenir s’étiole parmi les plus jeunes, quand pour ceux qui n’ont pas encore 20 ans leur nom ne veut plus rien dire. Philippe Pascal fût une de mes idoles de ma jeunesse, aux côtés de Ian Curtis, de Robert Smith ou de Samy Birnbach, John Cale et quelques autres sauf… sauf que contrairement aux autres noms susmentionnés qui, toujours, sont restés pour moi des icônes, Philippe Pascal, lui, j’ai eu un peu la chance de le côtoyer, de le voir sur scène avec Marc Seberg mais aussi en duo avec Pascale Le Berre le temps de leur dernier tour de piste sous le nom de Philippe Pascale. Je me souviens de quelques conversations avec eux à la terrasse d’un café ensoleillé lors des Francofolies de La Rochelle. Je me souviens de l’avoir croisé au rayon Poésie d’une enseigne culturelle à Rennes. Je me souviens que grâce à lui, j’ai découvert toute la peinture expressionniste de Schiele à Munch, Gustav Mahler et bien d’autres. Pour autant, jamais je n’ai été de ses intimes ou de ses proches, pourtant en septembre 2019, quand j’ai appris sa disparition, c’est une page de ma vie que je refermais.
Dominique A m’a toujours donné l’impression de poursuivre le travail commencé et interrompu par le rennais sans que je me l’explique jamais vraiment jusqu’à Toute Latitude (2018) et ce titre sur le second disque, Nationale 137 où enfin il disait toute l’admiration ressentie pour Philippe Pascal. Dans cette chanson, Dominique A y décrivait ses errances dans les rues de Rennes à la recherche de Philippe Pascal. Comme lui, j’ai fait la même chose, j’ai vécu quelques temps à Rennes au début des années 90 et je n’aurai croisé Philippe Pascal que quelques instants sans trop oser lui dire quoique ce soit.
Dominique A, avec une belle humilité, n’hésite pas lui-même à s’égratigner, lui, au moment où son nom commençait à circuler dans les médias, crachant sur Philippe Pascal, le traitant de « caricature qui n’avait rien compris« . Ironie du sort, quand on sait que c’est ce même Philippe Pascal, alors en panne d’inspiration, qui contacta l’auteur de la fossette afin qu’il l’aide à écrire les textes du prochain album de Marquis De Sade… un projet qui malheureusement ne vit pas le jour pour les raisons que l’on sait.
Il y avait chez l’un et l’autres une ADN commune, un romantisme et un lyrisme sec mais aussi une écoute immédiate des autres qui transpirait dans leurs chansons. Pour avoir rencontré les deux, je retrouvais chez l’un et chez l’autre cette empathie timide et pudique, cette attention.
Ce livre court sorti chez Médiapop Editions raconte le parcours de Dominique A, son chemin vers une maturité créative. Il dit donc ce rejet des idoles de notre adolescence par lequel on passe tous. Ces musiciens que l’on pense trop marqués par romantisme de la jeunesse, suffisants que nous sommes au moment de notre entrée dans l’âge adulte. Mais Fleurs Plantées Par Philippe va plus loin que la seule évocation d’un parcours, il raconte l’admiration et l’envers du décor, un Philippe Pascal tourmenté alors qu’il est flamboyant sur scène, un Philippe Pascal fragile alors qu’il irradie. On retrouve cette écriture sibylline, réflexive et suggestive de Dominique Ané, cette élégance entre les lignes.
On y entend des Ailes de Verre qui tissent un lien avec L’Echo, la voix grave du rennais qui souffle à l’oreille du nantais « J’aime bien ce que tu fais, continue« , ces paroles qui sonnent comme un héritage laissé, comme un lien de parenté possible. Et remonte à la surface de notre mémoire cette impression tenace, celle d’avoir eu la chance de connaître ces moments de concert avec Marquis De Sade et Marc Seberg, d’avoir été contemporains des dates de parution de chacun des disques, d’avoir adoré tel album, d’avoir mal compris tel autre pour mieux l’adorer ensuite, d’avoir échangé avec Pascale Le Berre sur cette période avec Marc Seberg, d’avoir un peu l’impression d’être passé à côté d’un très grand.
Le 12 septembre 2019, au moment où nous apprenions le décès de Philippe Pascal, nous comprenions le caractère définitif de cette information, il n’y aurait plus jamais de disque, de chansons portées par la voix grave de Philippe Pascal. Mais comme le dit Dominique A dans Fleurs Plantées Par Philippe, Philippe Pascal « ne se voyait pas revenir, quelque chose en lui résistait« . Peut-être avait-il le sentiment d’avoir tout dit ? peut-être souhaitait-il maintenir le souvenir intact ? Avec Fleurs Plantées Par Philippe, Dominique A lui offre une mémoire neuve.
Greg Bod