Il nous a fallu nous pincer pour y croire : Fontaines DC en concert à Paris, en pleine pandémie, et malgré l’impossibilité de toute tournée internationale ! Et dans l’écrin de l’auditorium du Studio 104 de la Maison de la Radio, Grian Chatten et sa troupe nous ont touché au cœur.
Cette apparition au Studio 104 de Fontaines DC, l’un des jeunes groupes dont on parle le plus ces dernières années, dans un Paris toujours largement privé de concerts, en dépit des petites initiatives de résistants qui permettent à la musique live de continuer à exister, est ce qu’on appelle un EVENEMENT, un vrai… Et pas l’un de ces faux événements systématiquement auto-proclamés, comme les professionnels du Marketing en sont coutumiers : pour le coup, ce n’est pas nous qui l’affirmons, c’est l’ami Mishka Assayas, qui dit quelques mots d’introduction à 21h, sur la scène du Studio 104 de la Maison de la Radio. On se permet de qualifier Mishka “d’ami”, parce qu’on a lu tellement de ses excellents articles dans Rock & Folk, les Inrocks ou Libé, que sa voix, drôle et chaleureuse, nous a aidés à construire notre culture musicale… et qu’il est donc touchant de l’entendre, lui, parler de la rage d’exister de Grian Chatten, une rage qui a rallié à la cause de Fontaines DC tout un public qui se reconnaissait dans sa musique.
L’auditorium du Studio 104 est évidemment complet – les 350 places de la jauge réduite étant parties en quelques minutes sur le site de France Inter -, et le set sera filmé, ce qui ne nous surprendra pas, vu son caractère exceptionnel.
« You shoulda heard me in the lounger / Telling people what they was / Spitting out all types of sugar / Just dying for a cause… ». I don’t belong ouvre le set, superbe déclaration d’intention, pleine d’ambigüité et de poésie – car on sait bien que les textes de Chatten sont tous sauf de bêtes proclamations d’indépendance vociférées par un adolescent attardé, et se rattachent finalement à la longue tradition littéraire de Dublin. Si le look de Grian reste très juvénile, s’il maltraite son maillot rayé bleu et blanc et ses poches de pantalon avec une sorte de gêne distraite qui traduit un inconfort un peu immature, s’il préfère regarder vers le ciel – enfin le plafond, ici – que vers son public – assis et masqué -, il manifeste ce soir une véritable présence sur cette grande scène pourtant anonyme.
Le Fontaines DC de ce mercredi 7 octobre n’a pas grand-chose à voir avec le groupe assez désagréablement détaché et peu concerné de leur dernier passage au Bataclan. Aidés par un son magnifique – la magie d’une excellente salle – et heureusement très fort, avec des guitares joliment agressives, les musiciens ont attaqué ce concert avec détermination et confiance. Derrière les mots de rage et d’inconfort, de doute et d’interrogation de Grian, c’est désormais un groupe qui semble plus apaisé qui officie. Televised Man confirme en live sa force, seulement entrevue sur l’album, mais c’est – logiquement – le puissant Chequeless Reckless, avec sa colossale ouverture à la batterie, qui marque l’entrée de la soirée dans une ambiance de… VRAI CONCERT DE ROCK !
« You’re so real, I’m a show reel / You work for money and the rest, you steal / I feel like an old tattoo / I feel like I’m falling for you » : Sha Sha Sha est pur plaisir, et on se regarde dans le public, sourires presque invisibles derrière les masques chirurgicaux : quel bonheur d’être ici ce soir, de pouvoir oublier pendant une courte heure cette horrible année 2020, avec sa pandémie et ses leaders politiques obscènes ! Oui, nous avons besoin, plus que jamais, de musique ; oui, nous avons besoin de gens aussi sincèrement en colère – et intelligents dans leur manière de l’exprimer – que Fontaines DC…
La set list est un mélange équilibré entre les beaux morceaux de A Hero’s Death, et les cris de colère de Dogrel, et contentera donc tout le monde. Sur Hurricane Laughter, torrent de violence bruyante, Grian essaie de nous faire nous lever, mais il n’y aura que trois spectateurs qui danseront quelques minutes : pourtant, même si jouer dans ces circonstances est certainement frustrant, même si écouter de la musique dans ces conditions est évidemment loin de l’idéal, la communication est établie entre le groupe et le public, qui savoure les mots, clamés par Grian d’une voix qui paraît beaucoup plus assurée qu’auparavant : « Dublin in the rain is mine / A pregnant city with a catholic mind / Starch those sheets for the birdhouse jail / All mescalined when the past is stale, pale », c’est Big, la grande évidence. Même si plutôt que GRAND, on croit sincèrement que l’important est que Grian soit VRAI.
Oh Such a Spring, seul morceau… calme de la soirée, cristallise l’émotion (« Down by the docks / The weather was fine / The sailors were drinking American wine / And I wished I could go back to spring again… », et nous, donc !), avant l’envol final de Too Real – avec une impressionnante basse sépulcrale – et Boys in the Better Land. Et puis I Was Not Born clôt le set, l’heure étant bien dépassée. On espère un rappel, on attend, mais clairement ce n’est pas dans les règles de la Maison de la Radio. Pas vraiment grave, une heure de musique et de poésie comme ça, ça nous a redonné des forces.
Plus tard, retrouvant les musiciens sur la terrasse froide du restaurant du coin, on tiendra à les rassurer : « Bon, on ne s’est pas levés – sauf à la fin, bien sûr -, mais ça ne voulait surtout pas dire que vous ne nous avez pas touchés, bien au contraire… ». Touchés, on l’a été. Et aussi persuadés que le printemps reviendra, c’est sûr !
Texte et photos : Eric Debarnot
Les musiciens de Fontaines DC sur scène :
Carlos O’Connell – guitare
Conor Curley – guitare
Conor Deegan III – basse
Grian Chatten – chant
Tom Coll – batterie et percussions
La setlist du concert de Fontaines DC :
I Don’t Belong (A Hero’s Death – 2020)
Televised Mind (A Hero’s Death – 2020)
Chequeless Reckless (Dogrel – 2019)
Sha Sha Sha (Dogrel – 2019)
A Hero’s Death (A Hero’s Death – 2020)
Hurricane Laughter (Dogrel – 2019)
Big (Dogrel – 2019)
You Said (A Hero’s Death – 2020)
Oh Such A Spring (A Hero’s Death – 2020)
A Lucid Dream (A Hero’s Death – 2020)
Too Real (Dogrel – 2019)
Boys in the Better Land (Dogrel – 2019)
I Was Not Born (A Hero’s Death – 2020)
Bravo pour cet article qui retraduit parfaitement l’ambiance et la magie de ce show exceptionnel, nous étions 350 privilégiés hier soir et bien conscients de l’être.
Merci pour ce commentaire généreux ! Maintenant, quand aurons-nous à nouveau la chance de pouvoir assister à des « vrais » concerts debout pour pouvoir mieux exprimer notre enthousiasme ,
J’ai écouté le concert au poste radio, et même dans cette boite ça sonnait.
Cool ! Ils passaient aussi hier sur Arte, je n’ai pas regardé, mais peut-être l’as tu fait ?