Sur le premier album de Working Men’s Club, on découvre la maturité incroyable d’une bande de gamins de Todmorden (West Yorkshire), une musique sombre et dansante, sophistiquée et déjantée qui porte des textes d’un désespoir grinçant. Les enfants de la révolution Mad-Sheffieldienne sont de retour !
Todmorden (West Yorkshire)
Tout amateur de musique qui se respecte sait placer sur une carte de l’Angleterre ces villes emblématiques que sont Manchester et Sheffield, et du nord de l’Angleterre. Parce que l’amateur de musique qui se respecte sait que, même si ces villes ne sont plus ce qu’elles ont été, c’est là que s’est écrit un des chapitres les plus marquants et les plus beaux de l’histoire de la musique. Une révolution. Un peu à l’image de celle qui avait secoué l’Angleterre à la fin du 18ème siècle. Car, même si les révolutions industrielles ou musicales dévorent leurs enfants, ceux-ci reviennent toujours hanter les lieux qui les ont vu naître et disparaître. Oui, vraiment, l’amateur de musique qui se respecte devra toujours se souvenir de Manchester, de Sheffield, et du nord de l’Angleterre. Il en profitera – devra même en profiter – pour ajouter sur la carte de ses souvenirs une petite ville du West Yorkshire : Todmorden – à quelques dizaines de miles de Manchester et Sheffield. Car à Todmorden sont revenus les fantômes des enfants des révolutions musicales qui ont eu lieu dans le passé par là-bas. C’est à Todmorden qu’est né et sévit Working Men’s Club (WMC).
Tradition et universalisme
Faire référence au passé en parlant de ces régions de l’Angleterre est une tarte à la crème. C’est inévitable, comme suggéré plus haut et d’ailleurs, les nombreux articles qui ont été consacrés au groupe – jusque dans The Guardian ! – ne se sont pas privés de faire du name dropping ! On y trouve pêle-mêle Pulp (Jarvis Cocker est de Sheffield), New Order et Joy Division (bien sûr) ou même les Simple Minds (l’Écosse n’est pas loin, mais quand même). Mais aussi The Fall, M.I.A, Arctic Monkeys (à cause du producteur de l’album, Ross Orton). Inévitable de parler du passé mais simplificateur, comme toujours. WMC fait bien plus que ressusciter le passé, le recracher même après l’avoir parfaitement digéré et compris. WMC prend ses racines dans bien autre chose que la musique – fusse-t-elle révolutionnaire – d’une région. Le groupe de Sydney Minsky-Sargeant (SMS) fait une musique qui est ancrée là et ailleurs. Mais qui est ancrée. Qui se nourrit de localisme et le transcende, le magnifie et finit par produire de la musique. Quelque chose d’universel.
Pop (électro) tribale
Il y a quelque chose de tribal, d’animal dans la musique que nous propose WMC. Cette énergie furieuse, quand même ! Les 3 premières pistes de l’album sont, de ce point de vue, particulièrement dévastatrices. Les rythmes sont effrénés, heurtés, à base de beats életro-cassants. Très difficile de rester assis quand on les écoute. Et l’envie de s’agiter qui vous saisit est plutôt frénétique, désordonnée. Vraiment, l’envie de s’agiter. Danse de Saints-Syd. Puis le rythme se calme un peu avec “White Rooms and People”, un morceau plus pop, quasiment funky, toujours très dansant en tout cas et plus détendu, moins agité et bruyant. D’ailleurs, “Outside” qui suit est complètement sucré. Une pop presque joyeuse, gaie ! Diantre. Mais cela ne dure pas vraiment, les morceaux qui suivent font de nouveau grincer des dents – à commencer par “Be my Guest”, avec ses beats sourds et déchirés, ses guitares qui sonnent comme des sirènes. D’ailleurs, SMS n’a plus l’air d’avoir envie de se balader au soleil – superbe. Même “Tomorrow” qui se donne des airs de Funky Town – et qui redonne envie de bouger – est plutôt sombre et de nouveau tout cabossé. Sans parler de “Cook a Coffee” ou “Teeth”. Il n’y a que “Angel” – 12 minutes et quelques pour clôturer l’album – qui est un peu plus lumineux et pop.
Désespoir
La musique de WMC est donc éclectique et variée, bien plus qu’hésitant sur l’orientation à prendre. En fait, elle n’hésite guère. Au-delà de l’énergie, elle se répète autour de structures assez similaires. Elle est faite de couches et de couches et de couches de beats, de grincements, de hurlements furieux de synthés – tiens, on a oublié les Chemical Brothers, puisqu’on y est… Et elle est marquée par la voix d’outre-tombe de SMS. Il a une façon glaçante de déclamer et une façon bancale et grinçante de chanter qui est particulièrement excitante et impressionnante. Il y a dans ses mélodies quelque chose de dégingandé à la XTC – non pas qu’il y ait une similitude musicale mais un côté so British, une inharmonie qui en devient harmonieuse et mélodique. Alors même que les paroles sont désespérantes et désespérées. Sans espoir. Que ce soit “Trapped / inside a town / inside my mind” (Valleys, la première piste de l’album), “I hate tomorrows” (Tomorrow), “We danse and we smile/we laugh and we cry/we play and we fight/we live and we die” (John Cooper Clarke) ou “the luckiest man alive, one day will die” (John Cooper Clarke, décidément), “Let me in or Let me Out/Let me Scream Now” (Be My Guest), SMS ne chante pas le bonheur. Pourtant, quand il nous invite à aller nous balader au soleil – “Let’s go Outside/Step out in the Sunshine” (Outside) –, on a envie de le suivre. Une balade à Trodmorden ? Au soleil ? Comment manquer ça ? Les enfants de la révolution sont revenus. On veut être avec eux.
Alain Marciano