Tillie Walden nous invite à un incroyable voyage où la réalité s’efface peu à peu derrière le fantastique, accompagnant vers le chemin du salut deux solitudes blessées par la vie. Une route déroutante mais qui vaut le détour.
Par un hasard de circonstances, une jeune femme, Lou, va être amenée à prendre la route avec Béa, une jeune fille à peine majeure et « en fugue », qui se trouve être la fille de sa voisine. Un voyage, aux objectifs fluctuants, faisant office de métaphore dans la découverte de l’autre, avec sa part de confessions et de douleurs révélées. Un étonnant road-trip intimiste entre ciel et terre, avec en toile de fond une troublante course-poursuite avec d’inquiétants personnages.
Avec cet album hors du commun, c’est la seconde fois en deux ans que la toute jeune Tillie Walden est récompensée par un prix Eisner. Dans Spinning, elle évoquait son adolescence en tant que patineuse artistique et revendiquait à la fois son attachement à la liberté et son statut de lesbienne. Sur la route de West s’avère un objet plus indéfinissable, entre fiction intimiste et thriller onirique. Ainsi, on comprend pourquoi l’autrice américaine a retenu l’attention du jury de San Diego…
A coup sûr, cette fameuse route ne figure pas sur les cartes. Il faut accepter de l’emprunter pour s’y perdre, et elle n’est pas sans dangers. Le voyage commence par un horrible embouteillage « agrémenté » de klaxons et de gaz d’échappement. Au volant, Lou, 27 ans, qui en quittant la ville, va croiser par hasard Béatrice, dit « Béa », dans une station service. Béatrice est la fille d’une voisine de Lou, voisine quelque peu perdu de vue…. A tout juste 18 ans, elle a décidé de s’éloigner du foyer familial pour une raison obscure, vers une destination « plus ou moins définie ». De confidences en confidences, les deux jeunes femmes vont apprendre à se connaître, révéler leurs blessures et nouer peu à peu une complicité, transformant ce voyage en véritable quête initiatique.
Largement inspiré du manga dans le style, le dessin luxuriant de Tillie Walden est à la fois simple et surprenant, rehaussé par une mise en couleurs chatoyante. On ne sait jamais où cette route va nous mener mais on n’est jamais au bout de nos surprises, d’autant que le trajet est semé d’embuches, telle une métaphore des états d’âme des protagonistes. Sous des cieux rougeoyants et tourmentés, la route est sinueuse, escarpée, avec des ponts qui se fissurent et s’effondrent parfois. Et puis il y a ces deux hommes employés d’un mystérieux Bureau de surveillance routière qui les pourchassent et veulent récupérer le chat, visiblement abandonné, que Béa a pris sous son aile en cours de route. La voiture de Lou, avec sa caravane de poche, paraît minuscule au milieu de ces grands espaces américains, bien trop vastes pour elle, presque menaçants, et pourtant…
Bref, c’est un drôle de voyage que celui-là, un voyage en forme de songe merveilleux où viennent interférer des terreurs enfantines, mais non dénué de tendresse avec à la clé une belle histoire d’amitié. Avec ce pavé tout de même consistant et néanmoins fluide à la lecture, Tillie Walden prend son temps pour poser l’intrigue, avec peut-être quelques longueurs, prenant le risque de déstabiliser le lecteur pour qui certains passages pourraient paraître hermétiques. En effet, l’autrice semble avoir sa symbolique propre dont il faut sans doute accepter de ne pas tout saisir, du moins en une lecture… Une chose est sûre, miss Walden nous offre ici une véritable ode à la liberté, un peu dans la lignée de son opus précédent, qui a le mérite de l’originalité.
Laurent Proudhon