Gros coup de cœur pour cette seconde livraison de 4 épisodes de Criminal : Royaume-Uni, où tous les petits défauts de la première saison ont été brillamment corrigés : de la grande télévision, voire du grand cinéma !
A la base de Criminal, il y a une idée vraiment intéressante, celle de filmer (ou plutôt de mettre en scène, car il ne s’agit pas de documentaires…) en huis-clos, et presque en temps réel, des interrogatoires de suspects conduits par une cellule d’experts de la police. Du point de vue cinématographique, c’est passionnant (on peut d’ailleurs rapprocher la démarche de ces mini-mini-saisons, de 3 épisodes seulement pour la première saison, et de 4 pour la seconde, de En Analyse, le déroulement sur le long terme en moins) : il s’agit de se concentrer sur la parole et les gestes, et que tout cela soit à la fois « juste », donc instructif, et « divertissant ».
La réussite de Criminal (qui est un dispositif répété dans d’autres pays que le Royaume-Uni) dépend, plus encore qu’ailleurs, de la combinaison et de l’équilibre entre tous les facteurs qui font une bonne série, ou un bon film : la qualité de l’écriture – les épisodes s’articulant en général autour d’un point de « rupture », où le suspect se met à parler, change de tactique, ou au contraire l’équipe policière découvre un élément nouveau qui oriente l’interrogatoire dans une autre direction, etc. -, l’intelligence de la mise en scène qui doit aider le téléspectateur à mieux comprendre des situations où le non-dit est également capital, et bien entendu, l’interprétation.
La première saison s’était avérée un peu décevante, après un premier épisode sidérant, grâce à l’habituelle fascination dégagée par l’immense David Tennant, parce que les deux suivants étaient tout simplement imparfaitement écrits, et qu’il était impossible de se raccrocher à des interprètes qui n’arrivaient pas à rendre crédibles des situations artificielles. On craignait donc pour la suite, mais la seconde livraison d’épisodes prouve que l’équipe de Jim Field Smith (qui est aussi le réalisateur) et George Kay a su corriger ces défauts, puisqu’on a affaire à un quasi sans faute cette fois, avec qui plus est des sujets et des mécanismes différents à chaque épisode.
Le premier épisode (Julia) est d’ailleurs le moins fort, l’excellente Sophie Okonedo ne réussissant pas tout-à-fait à rendre son personnage d’épouse d’assassin assez ambigu pour que l’histoire fonctionne complètement (ce qui est d’ailleurs étonnant, si l’on repense à la complexité de son personnage de schizophrène dans Ratched…), mais les 3 suivants sont tout simplement formidables.
Grâce à une interprétation bouleversante du toujours surprenant Kit Harington, Alex, le second épisode transcende son sujet, presque théorique mais bien d’actualité, sur les dangers des fausses (?, et tout est dans le point d’interrogation…) dénonciations d’abus sexuels et leur traitement par la police : c’est le seul épisode de la série à date qui adopte le point de vue de l’accusé et fait des interrogateurs des bourreaux, une inversion de perspective rafraichissante.
Danielle, le troisième épisode, aborde avec subtilité le difficile thème des soupçons envers les pédophiles reconnus, et surtout les dérapages de la dénonciation tout azimut via internet. Sharon Horgan est absolument fascinante à observer, livrant une superbe performance en psychopathe manipulatrice, usant d’une logique troublante pour manipuler les policiers.
Sandeep clôt cette réussite quasi-totale sur un sujet beaucoup plus classiquement policier, où il s’agit de découvrir de quel(s) crime(s) peut être responsable un accusé arrogant et sûr de lui, bien décidé à mener le jeu de l’interrogatoire. Dans ce dernier épisode, c’est surtout la qualité de ce que l’on pourrait qualifier de « mini-énigme policière » qui captive, plus que les aspects psychologiques, psychiatriques ou moraux que les épisodes précédents ont mis en valeur.
Gros coup de cœur donc pour cette série brillante, et pour le travail d’orfèvre de toute l’équipe, certains moments de tension ou, mieux encore, d’attente se révélant même saisissants. On a envie de dire que c’est de la grande série TV, mais ce qu’on pense, en fait, c’est que c’est tout simplement du GRAND CINEMA.
Eric Debarnot