Dons Savage (Dead Famous People) vient de publier l’album que l’on attendait depuis la fin des années 80 ! Et Dons n’a rien sacrifié de la lumineuse légèreté de sa musique, même si les années ont lui apporté une belle maturité.
Au risque d’être accusés d’être un tantinet obsessionnels à propos de l’indie pop néo-zélandaise, du Dunedin Sound et de l’ancienne écurie Flying Nun, nous devons célébrer, en cette époque de pandémie et de déprime persistante, le retour sur le devant de la scène d’une autre artiste de ce courant obstiné des années 80 : Dons Savage et ses Dead Famous People (en fait une série de collaborateurs différents).
Il faudrait beaucoup de temps pour bien raconter l’existence de Dons, remplies de belles rencontres – avec le génial Chris Knox et le moins génial Martin Philips en Nouvelle Zélande, qui conduiront à l’enregistrement d’un premier EP devenu aussi introuvable que légendaire, et à une collaboration avec The Chills, puis en Angleterre avec Billy Bragg et Saint Etienne… – mais aussi de belles galères, à Londres comme à Auckland : il n’est pas certain que ça intéresserait beaucoup de gens en 2020 de revenir sur des aventures du… siècle dernier, de toute manière… Il vaut beaucoup mieux parler de cet Harry (le prénom du fils de Dons, en passant), officiellement le troisième disque publié sous le nom de Dead Famous People (DFP pour les adeptes, à ne pas confondre avec « Famous Dead People »…) mais qui pourrait être considéré en réalité comme son (leur ?) premier « véritable » album.
Précédé par le single Goddess of Chill, qui s’inscrit inimitablement dans la tradition Flying Nun, Harry s’ouvre sur une chanson plutôt drôle (Looking At Girls) : « I waited and waited for you to come home / Got later and later / I tried your cellphone / That’s when I heard the siren’s lonely cry / Ran down the road to ask them how and why … / is our car on its side? / They said You crashed the car looking at girls / I thought you said I was your world… / if I was your world why are you looking at girls? » («J’ai attendu et attendu que tu rentres à la maison / C’était de plus en plus tard / J’ai essayé ton portable / C’est là que j’ai entendu le cri solitaire d’une sirène / J’ai descendu la route pour leur demander comment et pourquoi… / Notre voiture est-elle renversée sur son côté? / Ils m’ont dit que tu avais eu un accident parce que tu regardais des filles / Je pensais que tu avais dit que j’étais ton monde… / si j’étais ton monde, pourquoi regardes-tu les filles ? »), mais qui n’annonce pas le ton général de l’album, beaucoup plus personnel et profond.
Car Harry est un album de 2020, pas de 1980 : si les mélodies, parfaites, répondent aux canons de l’époque (Safe and Sound, délicieuse), si les cavalcades de guitares qui carillonnent sont bien là (le très pop Groovy Girl), Harry exhale aussi une mélancolie qui n’est pas celle d’une jeune artiste de 20 ans, avec cette voix qui pourrait être masculine aussi bien que féminine : Turn On the Light rend hommage aux amis disparus, alors qu’on a toujours le réflexe de composer leur numéro de téléphone pour parler avec eux… tout en ne sonnant jamais triste), mais il prend acte aussi des terribles défis de notre monde actuel ; Dog évoque le souvenir d’un petit chien disparu ; Dead Bird’s Eye est une ample et lyrique lettre d’excuses à la planète (« What have we done, mother? / Slapped you in the face of your grace, mother / On behalf of the whole human race, mother/ I’m sorry, mother » (« Qu’avons-nous fait, mère ? / Nous avons giflé ta grâce, mère / Au nom de toute la race humaine, mère / Je suis désolé, mère »)…
Mais c’est quand les deux « styles » (pop d’un côté et plus ample et lyrique de l’autre) se rejoignent que Dead Famous People devient grand : le magnifique The Great Unknown, sans doute le sommet de l’album, est un questionnement – paradoxalement plein d’espoir – sur la mort, et conjugue parfaitement mélancolie et élévation (au sens baudelairien du terme, on va dire, même si les « la la la » sonneront peut-être un peu triviaux !), et c’est un triomphe absolu.
Harry se referme sur la chanson éponyme, célébration solennelle mais heureusement légère de l’amour indissoluble entre une mère et son enfant, parfaite conclusion d’un album qui transcende facilement le genre dans lequel il s’inscrit…
A priori, Dons Savage travaille déjà sur un nouvel album, histoire de rattraper tout ce temps… « perdu ». Enfin, pas vraiment perdu puisque toutes ces années lui ont permis d’engendrer Harry, son fils, et Harry, ce beau disque.
Eric Debarnot