Une histoire sordide, un scénario hallucinant et un dessin froid pour une quête journalistique qui nous plonge dans les méandres d’esprits pervers.
Mai 2007, République tchèque. Un baby-phone déréglé capte les images d’une enfant, nue et menottée. La mère est inculpée, mais la fille s’est enfuie. Or, la gamine, dénommée Anna, 13 ans, se révèle être Barbora Škrlová, une brillante jeune femme de 33 ans. Recherchée par toutes les polices, elle est arrêtée en Norvège, où elle a pris l’identité d’Adam, un adolescent. Enflammant le pays, le fait divers suscite un déchainement d’articles, de reportages et de commentaires, pour se conclure par un décevant procès. Les coupables sont condamnés pour pédopornographie, mais le verdict laisse un profond sentiment d’insatisfaction. Seuls de puissants appuis ont pu financer l’entrainement, les opérations et les identités de Barbora. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs motivations ?
Ainsi, la personnalité de son père suscite d’innombrables questions. Demeuré dans l’ombre. cet ancien chef scout tyrannique et charismatique a fondé une secte et pourrait être mêlé à un trafic d’armes. Le mobile de l’affaire est-il « seulement » sexuel ?
Le scénariste Marek Šindelka se souvient : « Au début, nos ambitions étaient grandes. Nous espérions élucider cette affaire, trouver les motifs de ses protagonistes. (…) Les audiences devant le tribunal ont été longues mais on n’a jamais élucidé les motifs de ces personnes. On se demande toujours pourquoi ces gens-là ont fait ce qu’ils ont fait. »
Barbora est-elle victime ou complice ? À défaut de résoudre l’énigme, Šindelka développe, sous forme d’une fiction, une réponse possible. La journaliste Andrea est une création littéraire qui personnifie les auteurs de la bande dessinée, leurs recherches passionnées, mais surtout la fascination malsaine éprouvée face à cette affaire. Sous leur plume, Barbora Š. se mue en enfant miracle, programmée par un gourou pour incarner le messie.
Marek Pokorny et Vojtech Masek livrent un album aux dessins étonnement variés, alternant un trait réaliste et ombré, à des chapitres aux personnages simplistes et aux nez ronds et roses. Ils multiplient les angles et les plans, les vignettes photographiques et les map-minding. Leur effort de créativité n’est pas vain, mais parvient à illustrer l’indicible, la paranoïa qui s’insinue dans l’esprit d’Andrea et la folie, qui ne semble plus simulée, de la pauvre Barbora. Une lecture éprouvante.
Stéphane de Boysson