Avec son album Horse et ses sonorités Americana venue de l’Est de l’Europe, Holy Motors, le groupe basé à Tallin en Estonie, nous emmène dans des espaces infinis dans lesquels on se perd avec bonheur.
Décalage. Faux-semblants
Le premier LP d’Holy Motors s’appelait Slow Sundown – un comble pour un groupe qui vante la sacralité des moteurs. Leur second, que voici, s’appelle Horse. Au singulier ! Monté – pas si fièrement – par Eliann Tulve, la chanteuse du groupe, ce seul cheval semble être figé, à l’arrêt, immobile sur la pochette de l’album. Les sabots plantés dans du sable, il trône sur fond de paysage de désert, qu’on aimerait bien penser être un de ces déserts mythiques du Nevada ou du Nouveau-Mexique et qui évoquerait un western d’Ennio Morricone – souvent mentionné à propos du groupe – mais à ce moment là ce serait plutôt d’Espagne dont il s’agirait. Cela fait rêver quand même, un peu mais un peu moins… peut-être. D’autant plus – ou moins – que ce paysage n’est qu’une photo, une toile qui plisse comme un drap mal tendu ou le rideau d’un théâtre. Holy Motors nous prévient … leur musique a peut-être ses racines aux USA et nous faire penser au wild wild west et ils ont beau être signés sur un label indé de Brooklyn – Wharf Cat Records –, il faut faire attention avant de tirer des conclusions et faire des parallèles. Leur musique, c’est leur musique. Elle leur appartient. Ils ont font ce qu’ils veulent. Leur musique n’est ni figée, ni immobile comme le cheval de la pochette. Ils auraient largement pu exploiter le filon de Slow Sundown qui leur avait valu un superbe succès. Ils ont préféré choisir la voie qui n’était pas la plus exploitée dans leur précédent LP. Horse représente une évolution assez notable et très intéressante de Slow Sundown.
De la pop à une Americana de l’Est de l’Europe
Sur leur premier LP, le groupe de Tallin, Estonie, – 2 guitares, Lauri Raus, le fondateur du groupe, et Gert Gutmann, un batteur (caspar Salo) et donc Eliann Tulve – nous avait proposé une musique avec des éclats d’americana, de rockabilly, mais surtout pop. Mazzy Star a été évoqué. Sans doute à cause de la proximité entre la ténébreuse Eliann Tulve et la magique Hope Sandoval. Peut-être encore un parallèle trompeur et réducteur.
Quoi qu’il en soit, avec Horse, le côté pop a plutôt disparu. Holy motors semble avoir choisi d’approfondir le côté Americana … Mais leur Amérique à eux. Peut-être cette Amérique qu’on fantasme quand on vit en Estonie (ou quand on ne vit pas aux USA). Leur musique – et leur Amérique – ne sent pas la fumée de cigarette et l’alcool tiède. Elle ne sent pas la fin de nuit dans un bar dans lequel un chanteur-guitariste déprimé s’est râpé la voix toute la nuit devant un parterre clairsemé. Certes les guitares et la batterie – discrète mais efficace – assurent un tempo lent et méditatif, mais si clair et cristallin. Certes, la voix grave, auréolée d’échos, absente et lointaine d’Eliann Tulve – comme sur Slow Sundown – donne à l’album une couleur assez sombre mais d’un noir qui brille. Sombre, lent mais addictif. Des ritournelles qui vous trottent dans la tête. Encore. Et encore. Et encore.
Une tristesse réjouissante
Avec ce seul cheval immobile Holy Motors nous emmène plus loin que bien des moteurs – et des groupes – auraient pu le faire. Il nous emmène dans des espaces ouverts et infinis. Des espaces où il y a des déserts et des cactus, des églises en bois où on peut se réfugier pour soigner son âme. Où les nuits ne s’arrêtent jamais et ça nous rend heureux – Endless Night, le premier single et second morceau de l’album est une pure merveille. Holy Motors nous emmène le long de routes où l’on croise des cowboys qui cherchent leur voie, espérant des mondes meilleurs et avec qui on a envie de cheminer. Il fait malgré tout bon dans ce monde. Froid et tiède à la fois. Triste, pas mélancolique – encore un mot qui revient sans cesse à propos du groupe … mais on se demande ce qui n’est pas mélancolique de nos jours ! Triste mais tellement bon.
Alain Marciano