Radical Kitten signe un premier album engagé, fort, avec des paroles qui font mal et une musique qui frappe fort et juste. Du queer-punk bruyant et broyant.
The Sound of Silence
Le silence peut faire du bruit … quand on se souvient de Simon and Garfunkel, ce n’est pas l’impression qu’on peut en avoir. Dans The Sound of Silence (1964), le silence semble faire un bruit tout doux, un peu cotonneux. Pas désagréable, loin de là, mais pas très bruyant. Et pourtant, les paroles sont claires. Paul Simon parlait de “cancer” à propos de ce silence, à propos de ces mots que personne – les “idiots” – n’écoute et qui s’évanouissent dans un puit. Un cancer. Dangereux, mortel. Mais qui se propage sans bruit. C’est peut-être là le problème : quand personne ne veut déranger le silence, ne veut entendre ce qu’il faudrait entendre, il faut changer quelque chose. C’est ce que veulent faire les Radical Kitten avec leur premier album, Silence is violence – un titre prémonitoire, choisi bien avant que cela devienne un des slogans de Black Lives Matter.
Your silence ? My violence
Dès le titre, le groupe de Toulouse –– Marin (basse et chant), Iso (guitare et cris) Marion (batterie), – met les choses au clair. Se taire fait mal. Se taire est violent. Et y en a marre de se taire. Comme le dit une militante poétesse et écrivaine afro-féministe américaine, Audre Lorde, avec laquelle le groupe se sent beaucoup d’affinités, “il faut transformer le silence en paroles et en actes”. Mais cette fois, il faut y mettre le ton. Brancher les guitares, monter le son et pousser les amplis. Passer à quelque chose de plus brutal… Faire de la musique où le silence est absent ! Faire de la musique violente parce que si notre silence est violent, le votre l’est encore plus. Alors, nous y opposons notre violence – “your silence/our violence” entend-on dans le single Wrong qui ouvre l’album, un morceau qui commence comme une alarme qui sonne le compte-à-rebours d’une bombe qui va exploser, quelques notes de guitare qui décomptent le temps qui reste, et il n’en reste pas beaucoup. On vous prévient. Ça ne dure que quelques secondes, vous n’avez pas beaucoup de temps pour vous mettre à l’abri. La basse arrive, lourde, et très vite un roulement de tambour. La musique déferle. Bruyante et sonore. Des vagues qui se succèdent quasiment sans arrêt. Les guitares sont tranchantes – Iso n’a l’air de jouer que sur les aigus, se servant de sa guitare comme une lame fine qui découpe les chairs, comme d’un éplucheur à légumes qu’il nous passe sur les nerfs sans relâche – même un outil de cuisine peut être dangereux, méfiez-vous. Et quand la basse – pesante, donnant un ton assez macabre au disque – et la batterie – cassante, cassante – entrent en scène, on ne respire plus. Quant aux voix, elles sont brutales, hurlantes, aigües et graves, un mélange de chant et de cris tour à tour, nous enfonçant leur message dans le crâne. Ces mots qui nous parlent des déceptions et frustrations personnelles vécues par les membres du groupe mais aussi de sujets de société – Old world parle de la ‘manif pour « tous ».
Broyante et bruyante
Le queer- ou post-punk des Radical Kitten est broyant – une erreur de frappe bien involontaire !, que je ne corrige pas, une musique bruyante et broyante qui est composée collectivement à partir de riffs d’impro, comme me le dit Iso. Bruitiste. Furieusement dissonante. Pas toujours, quand même. Franchement, il y a quelques passages qui sont assez harmonieux et harmonieusement beau. Blind, par exemple, et son intro, qui donne envie de s’agiter et de danser, ou les quelques notes d’intro à la basse de I’m bored ou l’intro de Silence, la dernière piste – très très beau morceau, le plus long de l’album. Il y a quelques passages plus lents aussi, comme Old World un des rares moments d’accalmie de l’album – qui fait par moment penser à Warsaw ou à quelques morceaux des premiers Joy Division. Mais cela ne dure pas. L’atmosphère n’est jamais apaisée. On ne respire jamais beaucoup ou très longtemps. De toute façon, on vous l’a dit, y a plus le temps – “your silence/our violence”.
Radical Kitten is a gas
La violence et le punk ! Une tradition qui date des origines. Poussée à l’extrême dès le début, comme avec Belsen was a gas des Sex Pistols – “Kill someone! Kill yourself! We don’t mind! Please someone! Kill someone! Kill yourself!” – dont Lester Bangs dit, dans ses “Notes on PIL’s Metal Box » (1980), que les gens ne perçoivent pas l’ironie même si vous les répétez et répétez encore. Ils pensent que c’est une blague.[1] Les Radical Kitten n’atteignent pas ce niveau de radicalité mais on s’en approche. Leurs paroles font mal et frappent for, aussi fort que leur musique. On aurait tort de penser que c’est une blague. Pour les membres du groupe, ça n’en n’est pas une. Et pour des tas de gens non plus. “Your silence/our violence”.
Alain Marciano
Radical Kitten – Silence is violence
Labels K7: (coproduction) Hidden Bay, Seitan’s Hell Bike Punk, AB Records et Tomaturj
Parution : 16 Octobre 2020
vinyl 12′ : (coproduction) Araki Records, Attila Tralala, Domination Queer Records, Gurdulu, La loutre par les Cornes, Mon Cul c’est du Tofu, Stonehenge Records, Retratendo Voces et Uppercat Records.
[1] Lester Bangs. Psychotic Reactions and Carburetor Dung: The Work of a Legendary Critic, edited by Greil Marcus, Anchor Press, 1988.