Après la parenthèse plus conventionnelle d’Au revoir là-haut, c’est peu de dire que la fantaisie, l’inventivité et l’acidité du regard de Dupontel manquaient au cinéma français, et qu’on ne pouvait que se re réjouir de le voir nous proposer un nouvel opus de son cru.
Le voici débarquant avec un titre prometteur, une situation alambiquée dont il a le secret et une course un peu folle mêlant burlesque et catastrophes. L’occasion de régler quelques comptes sur un monde qui s’obstine à le dégouter, par la toxicité de son progrès (les aérosols des coiffeuses), l’incompétence de ses décideurs (un patron atteint de jeunisme, un expert épris de psychanalyse de comptoir), la violence bornée de sa police et, d’une manière générale, le sort réservé aux individus les moins compétitifs relégués, littéralement, dans des caves. Le regard critique se double d’une réflexion toujours aussi angoissée quant à la fuite du temps, dans une ville que plus personne ne semble reconnaitre tant elle a changé, où les vieillards oublient jusqu’à leurs prénoms et les heures sont comptées avant l’irruption de la mort.
Pour orchestrer toutes ces thématiques tout en restant dans le sillon de la comédie, l’écriture ne ménage pas ses effets ; multipliant les étapes d’un parcours du combattant sur 80 minutes, elle s’autorise toutes les facilités dans ce jeu de piste assez falot, où les hasards et coïncidences font mécaniquement progresser un récit auquel on ne semble pas accorder grand crédit, pas plus que pour les portraits de personnages souvent réduits à des types (l’aveugle, la fille-mère condamnée, le vieux geek suicidaire) et dénués de véritable incarnation, ce qui n’achève pas d’indigner lorsqu’on dispose d’une comédienne comme Virgine Efira.
Chef d’orchestre de ce bal comico-mélancolique, Albert Dupontel à la réalisation, l’écriture et au rôle principal s’octroie les pleins pouvoirs. Sa mise en scène démultiplie les effets et les écrans (rétro, pare-brise reflétant la ville, ordinateurs, vidéo surveillance, caméscopes…), aussi formelle que ses personnages sont fantasques, avec une obsession du contrôle notamment par un recours permanent à la plongée, sur un monde qui ne cesse jamais de signifier jusque dans ses cortèges de figurants, citadins unanimement rivés à leurs écrans de smartphones. La coloration dorée de la photo accentue convoque à plusieurs reprises les souvenirs d’Amélie Poulain qui, si elle charme peut-être sur le plan esthétique, accentue d’autant plus cette artificialité assumée qui motive quelques séquences assez gratuites (comme cette montée d’escalier en colimaçon ou la course en voiture de l’aveugle) et qui tombent un peu à plat. Son personnage lui-même prend le relai du metteur en scène : armé de son ordinateur magique, il ouvre les portes, dirige les ascenseur et piste n’importe quel individu en dépit de sa transparence aux yeux d’un monde qui l’ignore complètement.
Cette fragilité de l’écriture, assez patente dans la première partie, nourrit une partition un peu maladroite sur laquelle se greffent les attendus du genre, caméos du Palmashow ou de Terry Gilliam, et une charge politique résolument basique, alternant les scènes tristes surlignées par la pause dans le récit, les flashbacks et la musique idoine.
Comment expliquer, dès lors, que subsiste une vraie tendresse pour ce film ? Probablement en comprenant la sincérité totale avec laquelle il est construit. La multiplicité des idées parvient à occasionner quelques réelles, trouvailles, l’énergie est indéniable, et un certain nombre de séquences fonctionnent de manière autonome, comme ce retour du vieillard amnésique chez lui, à la découverte de ce que fut sa vie. L’idéal de maitrise de Dupontel trouve ainsi sa finalité dans un double mouvement : celui, amer, d’une charge contre ce monde de cons qui devient inhabitable et qu’il vaut mieux quitter avec panache, et l’autre, fleur bleue, où l’on pourra s’improviser metteur en scène d’un renouveau possible de l’amour pour la jeune génération qui ne sait plus comment s’inviter à la danse. La scène chuchotée devant la maison, avec l’aveugle en arrière-plan est ainsi un petit bijou d’écriture, et celle de l’ascenseur parvient à trouver une voie de réconciliation, mais toujours en surplomb de cette ville désincarnée, et sans renier le fait qu’il faudra un moment redescendre sur la terre ferme.
Alors, plutôt que de faire partie des cons qui diraient adieu à ce cinéma parfois laborieux, pas toujours très efficace, laissons parler le cœur d’un homme meurtri qui croit encore possible de s’adresser au plus grand nombre, et encourageons-le, tant que celui-ci battra, à inventer d’autres fables pour réchauffer les nôtres.
Sergent Pepper
bel article. merci