Avec une efficacité mélodique évidente, un son à la fois référencé et très maîtrisé, le Canadien offre un second album solo où la guitare tutoie la voix de quelques mânes évanescents.
La musique est faite de cycles. Mon cousin me chambrait l’autre jour: il me signalait qu’il y avait le même délais entre aujourd’hui et la sortie du second album d’Oasis qu’entre la sortie du second album et des derniers albums des Beatles : ça calme. 25 ans séparent l’essor de ce qu’on appela la Britpop et l’année de la Covid-19. Le temps pour que la musique d’une époque infuse dans plusieurs générations, jusqu’à devenir la référence assumée et non honnie de nouveaux jeunes qui prennent des guitares et pour repousser les genres de leurs aînés, un peu plus loin, de manière un peu plus moderne.
Jonathan Personne, de son vrai nom Jonathan Robert est de ceux là. Pour la seconde fois, le Canadien fait œuvre solo, en marge de son groupe Corridor. L’homme prétend s’inspirer de Morricone,- son nom est Personne voyez vous- et on comprend aussi assez la référence au maître du western côté musique, moins pour l’aspect cow-boy que parce qu’il aime créer des plages d’atmosphères qui font monter progressivement une certaine tension, et où un petit riff distordu semble jouer le rôle du gimmick d’harmonica des westerns spaghettis.
Pourtant c’est bien quant à moi c’est bien quelque part dans les nineties que j’ai envie d’aller chercher les clés de la musique référencée du jeune homme qui fait sonner le français à l’anglo-saxonne (apanage des francophones d’Amérique, on se souvient avoir pensé la même chose de Philémon Cimon à l’époque). Je dis nineties pour évacuer d’emblée la figure sonore paternelle de Neil Young avec laquelle je trouve aussi de nombreuses similitudes dans la guitare qui tâte de l’effet flanger. Guitare qui, bien plus que la voix, joue ici le rôle d’acteur principal.
Des nineties et du côté cinématographique revendiqué, mélangés, je veux voir quelques similitudes avec la manière qu’avait Spiritualized d’utiliser la voix comme un instrument, comme un nappe disait-on à l’époque, quasiment comme un synthétiseur qui viendrait atténuer l’impact d’une guitare soliste inventive. Une voix planante qui se pose parfois en plus sur un synthétiseur réel qui pointe parfois le bout de son nez en appui cinématographique des intros et outros des morceaux.
De ces années 90 qui virent la fin de mon adolescence, je reconnais aussi chez Personne cette manière qu’on appelait “shoegaze” de placer l’atmosphère vaporeuse d’un chant qui allonge les syllabes comme une chorale fantomatique qui regarderait ses pieds en chantant. On pense à Slowdive, à Lush, voire aux premiers albums de The Verve d’avant la pop, mais surtout aux Stone Roses dont on aurait retranché la basse ronflante propre aux musiques des clubs de l’époque. Avec ici l’incongruité supplémentaire de se rappeler souvent presque par hasard au creux des paroles, que le bonhomme chante en français: “si mon cœur revient” est-ce vraiment ce que Johnathan raconte dans Springsteen “j’ai vu le ciel s’obscurcir à jamais” sur Au final… A vrai dire je m’en moque comme d’une guigne. Comme je m’en contrefichais d’ailleurs quand l’anglais défaillant de mes 17 ans attrapait de ci de là un mot dans la langue de Shakespeare. J’adore que l’album me laisse picorer des morceaux de sens, comme un poème musical un peu surréaliste.
Album référencé, nostalgique sans doute aussi bien dans la forme que dans l’atmosphère, le second album de Jonathan Robert parvient cependant à tracer son sillon juste aux confins de la pop et des grands décors poudreux d’où sortirait un Clint Eastwood jeune. Disparitions est de ces réussites efficaces qui touchent l’auditeur parce qu’elles ont le triomphe modeste, quelque part sur ce petit chemin des douaniers entre intime et grandiose, cheminant éclairé par une lumière d’automne et une mélancolie presque rassurante parce que familière.
Un vrai bon album de pop, en français. Ne manquez pas son 5+5 dans les colonnes de ce webzine.
Denis Verloes