Pour ce deuxième volet de sa série anthologique, Mike Flanagan adapte une nouvelle horrifique de Henry James et offre aux téléspectateurs une magistrale évocation de l’impossibilité des deuils amoureux et des romances perdues.
On retrouvait avec plaisir mais aussi appréhension l’univers horrifique proposé par Mike Flanagan sur The Haunting of Hill House, excellente surprise proposée sur la plateforme Netflix il y a deux ans : une énième variation de la maison hantée, mais qui digressait progressivement vers une tragédie familiale poignante, où vivants et fantômes se télescopaient en déchirements de fratrie autour de la mort d’une mère dont la santé mentale avait gangréné une famille disloquée, impuissante à dévoiler ses sentiments et porteuse de trop lourds secrets à expulser. Gros carton d’audience, défi esthétique relevé, le genre horreur renouvelé : une réussite incontestable, qui amenait une suite avec questionnements : peut-on faire mieux ? La réponse est non, mais on peut faire différemment, et aussi bien.
Pour ce deuxième opus, en aucun cas une suite (même si des détails similaires dans la série évoquent de manière ludique le lien de parenté), c’est Le Tour d’Ecrou, nouvelle fantastique d’Henry James de 1898, qui est librement adaptée : soit la venue dans un vieux manoir anglais d’une jeune fille au pair américaine, pour s’occuper de deux jeunes orphelins. Aux côtés d’une intendante, d’un cuisinier et d’une jardinière, elle devra faire face aux terreurs des enfants comme des adultes, dans un lieu qui semble possédé par de vieux démons et des fantômes des différents disparus au fil des époques et des péripéties qu’ont connu ce manoir et le lac qui l’entoure… au fil des épisodes, sans rien dévoiler des intrigues, les personnages vont se confronter surtout à leurs démons personnels, les passions contenues, les amours déçues ou perdues, ou les plaies sentimentales qui semblent ne jamais pouvoir se refermer… on découvrira également que chacun enferme des secrets terribles, qui hésitent à ressurgir quitte à ébranler croyances et rouvrir des béances mortelles…
La grande force de The Haunting of Bly Manor, c’est d’éviter, comme son prédécesseur, le « déjà-vu » inhérent au genre ultra-convenu de la maison hantée. Après la tragédie familiale, le déchirement des blessures amoureuses éternelles. Embrassant les thèmes des amours interdites, des passions familiales désagrégées, de l’homosexualité (in)avouée, des déclarations avortées, la série touchera forcément toutes celles et ceux qui ont un jour aimé, ont cru en l’amour ou l’ont perdu de violente manière. Et si certains épisodes peuvent traîner en longueur en usant ces thèmes jusqu’à la corde, difficile de ne pas être transporté au final, tant les deux derniers emportent avec eux le torrent d’émotions contenues jusque-là. Quand toutes les intrigues se rejoignent et se déploient, la série prend un envol romantique et bouleversant. Et devient du coup un nouveau tour de force, retrouvant la grâce troublante du premier volet.
De plus, esthétiquement parlant, l’adaptation de la nouvelle de la fin du XIXème siècle permet au créateur de s’inspirer de l’univers artistique gothique de la littérature et de la peinture européennes et surtout anglaises de l’époque. On pense aux écrits d’Edith Wharton, Ann Radcliffe ou les tableaux de John Everett Millais, Gustave Moreau… ce qui donne très souvent des plans ou des scènes d’une incroyable beauté, à la fois douce et morbide.
C’est donc de la très belle ouvrage que propose ici Netflix en choisissant l’angle romanesque pour élargir son catalogue « horrifique », et loin des jump scares qu’auraient souhaité les amateurs de cauchemars fantastiques visuels, c’est l’âme et le coeur de chacun qui resteront tourmentés au final. Des fantômes, des esprits, des réincarnations et des lieux hantés pour ne pas oublier, que comme toujours, l’horreur et l’amour ne sont que frontière poreuse.
Jean-françois Lahorgue