A travers ce récit autobiographique, Dawa Ma, désormais mannequin international, évoque avec force et pudeur ses années de souffrance vécues durant son enfance. Un témoignage bouleversant, une plongée au plus profond de l’horreur, un combat titanesque.
En lisant ce livre, j’ai pris une grosse baffe en pleine tronche, avant d’écrire la moindre ligne après cette lecture il m’a fallu un bon moment pour reprendre mes esprits, digérer toute la colère que j’avais accumulée, dominer toutes les envies de meurtre qui m’avaient trotté dans la tête, essayer de comprendre comment une gamine devenue adulte à cinq ans, tabassée, humiliée, violée, exploitée de mille façons peut devenir un mannequin international, replonger dans les séquelles de tout ce qu’elle a subi et rebondir, une fois, deux fois, trois fois… rebondir encore et encore pour se battre toujours et encore, pour gagner son combat dantesque contre les forces du mal incarnées par ceux qui sont les plus proches d’elle, par ceux qui devraient être là pour l’aimer, la choyer et la défendre contre le mal.
L’histoire atroce que raconte Dawa Ma – c’est son nom de scène – c’est celle d’une petite française qui, comme toutes les autres, n’a pas choisi ses parents et qui a hélas tiré un mauvais numéro, l’un des pires peut-être, c’est la sienne, celle qu’elle a vécue depuis sa plus tendre enfance. Elle a choisi de l’écrire pour régler ses comptes avec tous ceux qui l’ont martyrisée. « le petit Chaperon rose s’est métamorphosé en louve. Et il revient aujourd’hui d’entre les paumés pour liquider les méchants, armé jusqu’aux dents d’un simple stylo… Parce que parler peut aussi tuer ». Elle raconte cette histoire en alternant, d’une part les chapitres du journal intime qu’elle a tenu de 2013 à 2016, et d’autre part, le récit qu’elle a écrit pendant son confinement à Londres au printemps dernier. Dans ce dernier texte, elle raconte tout ce qu’elle a vécu, avant et après s’être confié à son journal, et tout ce que son histoire lui a appris, tout ce qu’elle en a tiré, toutes les séquelles dont elle n’arrive pas à se débarrasser, le combat qu’elle mène pour elle et pour tous ceux qui ont subi les mêmes traitements.
Elle commence son récit par une phrase terrifiante en s’adressant à son père décédé alors qu’elle n’avait que quatre ans : « Je suis devenue adulte le jour de ta mort et femme à cinq ans par ce lui qui te remplaçait dans le lit de ma mère, un homme que tu aurais écartelé… ». Tout pourrait être dans cette phrase mais hélas, après il y a eu bien plus encore… la vie dont elle se souvient commence entre son père et sa mère biologiques : « La plupart des souvenirs que m’ont laissés Roméo, père dépressif et colérique, et Eglantine, mère cruche, arrogante et ridicule, sont d’une extrême violence ». Eglantine et Roméo se sont mariés trop jeunes parce que Dawa frappait à leur porte. Elle n’était pas très dégourdie, il était violent et cavaleur, il ne donnait pas d’argent à la mère pour élever les quatre mômes qu’il lui avait donnés en quatre ans. « Je me rappelle avec précision les huissiers fouinant dans mes coffres, emportant mes livres et le peu que nous possédions devant des parents ébahis, trop jeunes, impuissants, désespérés ».
Elle l’a plaqué, est rentrée chez ses parents avec sa progéniture, il a voulu les récupérer, la famille a fait obstacle, il est rentré chez lui et s’est pendu. Dawa avait quatre ans. La mère est rentrée en ville, dans une cité, avec sa marmaille et après avoir été battue, elle est devenue elle-même violente, laissant souvent ses enfants à l’abandon. Dévergondée, elle a vite ramené un gars à la maison violent, violeur, sadique, cynique qu’elle a flanqué à la porte quand les mômes se sont plaints. Mais bien vite un autre, encore pire, est venu s’installer à la maison pour une longue durée, jusqu’à ce que Dawa le mette dehors du haut de ses quinze ans avec un couteau pointé sur son gras bide.
C’est ce long calvaire qu’elle raconte dans ce livre dans lequel elle dénonce aussi tous ceux qui n’ont pas vu, pas entendu, pas voulu voir, pas voulu écouter et même seulement entendre, la famille, les amis, les voisins, les services sociaux, la police, les écoles… ils sont nombreux, bien trop nombreux pour que nous acceptions une telle indifférence.
Dawa Ma raconte son combat pour se protéger des violences répétées, pour se souvenir des humiliations récurrentes, de la déscolarisation alors qu’elle était une bonne élève, du viol régulier, de la prostitution… Elle pensait avoir tout supporté, tout digéré quand de nouveaux troubles sont apparus, avec le stress post-traumatique et sa cohorte de symptômes la démolissant régulièrement. Mais encore une fois, elle a lutté, retombant, se relevant, plongeant dans les abîmes pour toucher le fond du fond et rebondir encore en prenant appui sur ce fond. Ce fameux stress c’est le lot de tous ceux qui sont « Incapables d’affronter les causes de leur mal-être, qu’ils ont refoulées au plus profond par ce qu’elles faisaient trop mal, ils stagnent dans leurs émotions perturbatrices ».
Elle a connu toutes les déchéances, elle a tutoyé les étoiles… de la mode – elle est devenue mannequin internationale, adulée en Extrême-Orient notamment – , elle a été à nouveau exploitée, elle a tout jeté, elle s’est relevée encore une fois pour reprendre ses études, pour reconstruire une autre vie. « Accepter m’a permis de me préparer à émerger. Plus forte ! »
Ce livre est un témoignage bouleversant, une plongée au plus profond de l’horreur, un combat titanesque. Il m’a écœuré, mis en colère, mouillé les yeux de pitié, de douleur et d’émotion devant toute l’énergie, la détermination, la volonté que cette gamine a dû et su déployer pour essayer de se sortir de tous les pièges qu’on lui a tendus. Et c’est de la belle littérature, écrite avec beaucoup de justesse et d’émotion sans jamais se complaire dans de geignardes lamentations.
Denis Billamboz