Afin d’honorer la mémoire de l’immense acteur qu’était Sean Connery, coup de projecteur en trois axes sur « James Bond contre Dr No », rôle emblématique et déclencheur de son impressionnante carrière, et début de l’une des sagas les plus populaires de l’Histoire du cinéma.
Biographie :
Terence Young, élégant scénariste et réalisateur, doit sa renommée à la naissance de la série James Bond, dont il sera le premier directeur. Une vie trépidante qui obtient le permis de naître le 20 juin 1915 à Shanghai (Chine) et amène l’adolescent en Grande-Bretagne. Au cours de son cursus à Oxford, l’étudiant excelle sportivement (notamment au rugby), publie des critiques de films dans le journal du campus et travaille l’été au studio British Institute Pictures. A 21 ans, il met un pied dans l’industrie cinématographique chez Elstree, studio spécialisé dans les séries télévisées. Il élabore en 1940 son premier scénario de fiction On the night of the fire, réalisé par Ralph Richardson, avant que la Seconde Guerre Mondiale ne le parachute dans l’armée britannique. Blessé à deux reprises, il revient vers l’écriture à la fin du conflit, puis devient l’assistant de Jacques Feyder, King Vidor et Joseph Von Sternberg. En 1948, il met en scène son premier long-métrage : L’étrange rendez-vous. Sa nouvelle carrière continue avec Les Bérets rouges (1953), Les Quatre plumes blanches (1955) – coréalisé avec Zoltan Korda – et La Brigade des bérets noirs (1958). Elle prend une nouvelle dimension en 1962, année de la première adaptation au cinéma des aventures de l’espion James Bond, créé par l’écrivain Ian Fleming dix ans plus tôt. Tiré du roman, Dr No, publié en 1958, le premier volet James Bond contre Dr No rencontre le succès. Terence Young est reconduit pour réaliser Bons baisers de Russie (1963) – « mon film préféré », concède l’auteur – et Opération tonnerre (1965). Il enchaîne avec le thriller Seule dans la nuit (1967), l’historique Mayerling (1968), l’Arbre de Noël (1969) et Soleil Rouge (1971), dont les cinéphiles connaissent la valeur. Mais rien n’égalera l’impact du premier volet des aventures de l’espion James Bond. En 1979, l’image du metteur en scène est malheureusement écornée quand il participe au montage et à une partie de la réalisation du téléfilm Les longs jours, à la gloire du dictateur irakien Saddam Hussein, commanditaire du projet. Ses dernières productions sont boudées et il meurt d’une crise cardiaque à Cannes, en 1994.
Contexte :
Au début des années soixante, le monde est secoué par la Guerre Froide qui oppose deux blocs : communiste et capitaliste. Dans le même temps, le « swinging London » lance la culture pop (The Beatles, la mini-jupe…) et fleurissent de nombreux mouvements (antinucléaire, libération sexuelle) . Dans ce double contexte nait l’engouement pour les romans d’espionnages « cool » de Ian Fleming. Le producteur Harry Saltzman acquiert les droits des James Bond pour les adapter en long-métrage. Il s’associe avec Albert R. Broccoli, qui a déjà produit quatre films réalisés par Terence Young. C’est naturellement qu’ils se tournent vers lui pour mettre en scène le sixième roman de la saga : Dr No. Un épisode choisit hors chronologie pour raison budgétaire, l’intrigue ayant l’avantage de ne pas multiplier les décors puisque le récit se déroule en Jamaïque et à Londres. Le tournage dure un peu plus de deux mois et s’achève le 30 mars 1962. Le 5 octobre 1962 sort le premier film de l’espion James Bond. Onze jours plus tard, le paroxysme de la terreur est atteint avec la crise des missiles à Cuba. Entre le 16 et le 28 octobre 1962, la planète retient son souffle en espérant éviter la guerre nucléaire. Pendant ce temps, les recettes décollent au box-office.
Désir de voir :
« Formidable ! » s’enthousiaste Ian Fleming lors de l’avant-première, à Londres. Les spectateurs suivront avec la même joie. Avant d’être considéré comme le début d’une franchise, ce premier volet instaure une formule : luxe, exotisme, glamour, aventure et action. Il dépoussière les films d’espionnage des années 30. James Bond contre Dr No incorpore les tensions géopolitiques : le scénario fait l’action, inversement aux récits habituels du genre. Dès le générique – une création stylisée signée Maurice Binder -, l’iconographie est en place : canon du révolver, héros, tir, sang recouvrant l’écran, silhouettes féminines alanguies et images oniriques deviendront emblématiques. Autre particularité, l’utilisation immédiate du thème musical principal, partition instrumentale écrite par Monty Norman, arrangée et réorchestrée par John Barry. « Je me moque de savoir qui joue Bond, parce que le ciment, c’est la musique », souligne l’immense réalisateur Steven Spielberg. Inventif, Terence Young utilise de nombreuses astuces pour compenser le manque de moyens financiers de la production : précision du cadrage, alternances de prises de vues intérieures et extérieures, couleurs flamboyantes. « Je pense que tout le monde a compris que nous faisions un grand cru de champagne, et pas un fish & chips – bière », précise-t-il. Son atout majeur demeure l’incarnation du héros. Influencé par La Mort aux trousses (1959) d’Alfred Hitchcock, le choix devait se porter sur Cary Grant. Mais en seulement deux mots prononcés – « Bond, James Bond » – Sean Connery impose avec naturel sa virilité, son charme, sa « cool attitude », son assurance, sa présence animale, qui resteront indélébiles durant la carrière de l’acteur, et emblématiques pour la saga. Le nouvel agent secret est né. Ce film introduit aussi Ursula Andress, lors d’une des scènes les plus iconiques du cinéma. Venus sortant de l’eau en bikini blanc, couteau sur la hanche, cheveux mouillés, désarmante et envoûtante. Le personnage de la James Bond Girl fait également partie intégrante des codes emblématiques qui feront la légende de Bond : cocktail Vodka-Martini, pistolet Walther PKK, smoking, matricule 007, le méchant, suivi de gadgets et de voitures de sports. Avec vingt-quatre films, aucune saga n’a été aussi fournie, prolongée par de multiples parodies (Austin Power, OSS 117, Kingsman…) ou copies (Jason Bourne). Ce coup d’essai est un « vrai miracle », confiait modestement Terence Young. Un mythe, plutôt.
Sébastien Boully