De son enfance privilégiée à Garden City en banlieue new-yorkaise jusqu’à son exil à Paris, Elliott Murphy nous conte dans Just a Story from America, sa légende de Rock Star avortée, sa résilience artistique, et surtout son histoire de fils qui n’a jamais oublié l’amour de ses parents.
Alors voilà, Just a Story from America, l’autobiographie tant attendue (par si peu de gens, mais qu’importe !) du grand conteur et aussi grand musicien américain Elliott Murphy, alive and well in Paris depuis si longtemps qu’on ne compte plus années, vient de sortir. Dans un monde plus juste, ce serait un évènement littéraire. Et musical. Mais des injustices, Elliott en a déjà vécu sa part, et, élégant et drôle comme il est, il est parfaitement capable d’y survivre encore une fois, et peut-être même d’en faire une bonne chanson. Ou au moins une bonne histoire.
Préface de Chalumeau !
Mais avant de lire la prose d’Elliott, il va vous falloir lire la préface de Just a Story from America. Et, non, ce n’est pas optionnel. C’est même obligatoire, indispensable, parce que c’est un régal, parce que c’est Laurent Chalumeau, l’un des meilleurs journalistes Rock que la France ait jamais eus, et par ailleurs un bon écrivain, mais surtout un VRAI honnête homme, qui l’a écrite. « En ces temps où l’on ne sait plus si l’on doit séparer l’homme de l’artiste, qu’est-ce qu’une « carrière ratée », qu’est-ce qu’une « vie réussie » ? Comment l’une peut-elle déterminer l’autre et inversement ? Cet ouvrage, qu’on se le dise, propose des éléments de réponse. Enfin, par ses qualités littéraires mêmes, à lui seul, ce texte écrit par un chanteur pose l’épineuse question d’affinités possibles entre le rock, art modeste, primitif et brut, et la littérature. Murphy, par sa seule existence, suggère la possible pertinence d’un rock « lettré ». Ou d’un « roman rock ». Ce n’est pas rien. » écrit Chalumeau, et il est clair que nous ne saurions mieux dire… En fait le livre commence tellement fort qu’on souhaite bonne chance à Elliott pour se montrer au niveau de son brillant « préfacier » !
Une histoire d’amour filial…
« Si ce que je suis en train d’écrire était un biopic rock et non un livre autobiographique, vous me verriez en ce moment debout à côté de Bruce Springsteen, en couleur sur un écran géant, sur la scène du Stade de France à Paris. Ainsi me verriez-vous en 2016, sur scène avec mon fils Gaspard, nos guitares encore sur l’épaule, juste après avoir chanté Born to Run accompagnés du E-Street band, face à 80 000 fans. » nous annonce d’emblée Elliott Murphy, qui a toujours su comment titiller son public en racontant une bonne histoire. Et ce qu’il nous raconte dans Just A Story From America, c’est l’éternelle légende du héros américain, grandeur et décadence comprises. Mais s’il y a une chose va distinguer cette autobiographie de la majorité des exercices similaires dans le domaine – si peu littéraire – du Rock, c’est l’intensité de l’amour qu’Elliott ressent pour sa mère et surtout son père. Cet amour qui fonde la première partie du livre, revenant sur les années d’enfance (dorée) à Long Island, et qui effectue un puissant retour dans sa magnifique conclusion, qui nous laisse les larmes aux yeux : tous les fans savent que la meilleure chanson qu’ait jamais écrite Elliott, au milieu de dizaines et de dizaines de merveilles qui le distingueront à jamais du tout venant des auteurs-compositeurs classiques américains, c’est On Elvis Presley’s Birthday, bouleversant souvenir d’un paternel emporté trop jeune par une crise cardiaque.
Just a Story from America va alors se concentrer sur les années fastes où Elliott faillit devenir une méga-star du Rock, ne rencontra qu’un manque d’intérêt inexplicable de la part du grand public (inexplicable vu la qualité, on l’a déjà dit, de ses chansons…), et se vautra, comme l’aurait sans doute fait tout jeune adulte immature aveuglé par les « lumières de la nuit » et les fausses promesses de gloire, dans une vie facile de fêtes avec la jet set, d’alcool et de cocaïne. Cette partie du livre, finalement assez convenue, pourra irriter par son excès de « name dropping » (qui a toujours été une caractéristique – un défaut ? – d’Elliott), et intéressera sans doute surtout ceux qui furent les contemporains de ce début des années 70, de cette phase pre-punk de la musique new-yorkaise, qui vit l’apparition de gens aussi importants que Bruce Springsteen (le quasi-frère au destin symétriquement opposé) ou Patti Smith, ou encore Lou Reed en solo après la disparition du Velvet.
Une seconde chance…
On pourra donc trouver plus intéressante la suite, qui voit Elliott explorer – avec ce qui semble quand même être une mémoire sélective – ses années de galère, jusqu’à la salvation qui viendra, de manière assez improbable, grâce à son installation à Paris et à sa célébrité – relative mais réelle, et surtout durable – dans plusieurs pays d’Europe. Et grâce à une double rencontre, avec Françoise qui deviendra sa femme, et avec Olivier Durand, guitariste « taiseux » mais brillant, avec qui Elliott touchera enfin à l’essence de son métier d’artiste. Que Just a Story from America s’arrête là, alors que finalement, les choses deviennent réellement… originales, est une frustration : il y a tant de choses que nos aimerions savoir sur cette « seconde chance » qui n’est soi-disant jamais donnée aux héros américains (dixit F. Scott Fitzgerald…) et qu’Elliott, pourtant l’un des artistes les plus américains qui soient, trouvera de ce côté-ci de l’Atlantique !
Gageons que ce sera le sujet d’un second livre, qui permettra à Elliott de nous délecter avec encore plus d’anecdotes amusantes et de réflexions modestes mais finalement puissantes sur le Rock, la célébrité et… l’amour de sa famille.
Eric Debarnot