Tombant de plus en plus bas, Sofia Coppola semble prouver avec ce banal et (malgré Bill Murray…) ennuyeux On the Rocks que le cinéma ne l’intéresse plus.
On a coutume de faire un bien mauvais procès à Sofia Coppola : celui d’être seulement une « fille de… », une nantie vivant dans un monde de luxe loin de la réalité, seulement capable de filmer cet univers-là. C’est oublier bien vite que le cinéma est, la plupart du temps, un Art du rêve qui nous transportera une heure trente durant dans une autre vie, où l’on remplace les nuggets du McDonald’s mangées froides en baissant son masque chirurgical sur le parvis de la Défense balayé par un vent glacial, par une rapide dégustation de caviar dans une décapotable rouge vintage garée dans une rue charmante d’un Manhattan que même Woody Allen ne filme plus. Et que le deal pour que tout cela reste charmant est qu’on nous rassure en nous montrant que « les riches » à l’écran ont les mêmes problèmes de cœur, de boulot ou de famille que nous : un mari volage, de trop longues heures improductives, un papa envahissant, etc. N’oublions pas que Howard Hawks et Ernst Lubitsch ont réalisé les plus belles comédies qui existent en ne nous racontant que des histoires de nantis…
Non, ce qu’on doit absolument reprocher à Sofia Coppola, c’est d’avoir débuté sa carrière de cinéaste par un chef d’œuvre bouleversant, The Virgin Suicides, et d’avoir ensuite sombré peu à peu, mais inexorablement, chacun de ses films représentant une petite démission supplémentaire par rapport au précédent, une nouvelle marche descendue en termes d’intérêt et de qualité. Et d’en arriver en 2020 à ne même plus nous faire rire ni nous charmer alors que Bill Murray (bon dieu, Bill Murray !) est devant sa caméra ! Oui, son vrai crime est là, de ne plus savoir (de ne plus avoir envie sans doute…) nous raconter une histoire, camper de vrais personnages, nous séduire, nous surprendre, nous émouvoir et nous faire rire.
On the Rocks, au titre malin faisant le lien entre le Martini dans lequel pleurent les gens élégants et le naufrage d’une vie qui s’abîme sur les récifs de la quarantaine, part d’une idée formidable – lubitschienne peut-être – dans sa première scène, une idée qui sera vite oubliée par un scénario qui ne saura rien en faire, sinon déboucher sur un happy end démissionnaire. On the Rocks n’aura en fin de compte qu’une – oui, une seule – scène drôle, celle où le père futile et indigne de notre héroïne, campé par un Bill Murray auquel on ne demande rien à l’écran, embobine magistralement des policiers éberlués : seul moment de comédie, ou plutôt de fantaisie dans un film grisâtre malgré ses décors de luxe, morne malgré son agitation permanente, cette scène montre à contrario combien Coppola a abandonné tout « désir » de cinéma, et ne sait même plus comment traduire sa déprime chic en un film.
Après la disparition récente du meilleur James Bond, voici donc avec On the Rocks la seconde mort, en 2020, du Martini.
Eric Debarnot