Zorro peut-il renaître une fois de plus, dans un monde qui est obsédé par les super-héros fantastiques, ses descendants naturels ? C’est en tout cas le pari que fait Pierre Alary avec son roman des origines, Don Vega !
Zorro ! Ah, Zorro ! Création géniale datant de 1919 (l’écrivain Johnston McCulley en est responsable, même s’il est désormais bien oublié), Zorro, sa cape, son masque, son sombrero espagnol, son fouet, son engagement secret d’aristocrate en faveur des opprimés dans une Californie qui était encore sous contrôle espagnol, ont longtemps fait partie de l’imaginaire enfantin, ou même adolescent dans le monde entier, avant d’être ringardisé au cours des dernières décennies par l’explosion de la popularité des super-héros… Même si, bien sûr, le personnage de Batman en est une copie conforme, de l’aveu même de ses créateurs !
Réactualiser la légende de Zorro est évidemment une idée intéressante, surtout si l’on évite de jouer avec la nostalgie des baby-boomers par rapport à un feuilleton de la maison Disney, assez lénifiant, mais qui avait marqué les esprits dans les années 60. On se souvient par exemple de la tentative de Spielberg, à demi-réussie, il y a 20 ans de cela, qui travaillait l’idée de la transmission du mythe du personnage originel à une sorte de fils adoptif. Le concept derrière Don Vega, l’album de Pierre Alary, est à l’inverse celui, classique dans le monde des super-héros, de la recherche des origines : ici le mythe de Zorro est préexistant au personnage, il symbolise une forme d’insurrection populaire cachée contre les grands propriétaires au pouvoir, qui va donc donner naissance à un véritable justicier… Don Vega, source de ce qu’on imagine bien une lignée de vengeurs masqués… et donc terrain fécond pour de nouvelles aventures de Zorro.
On a connu le dessin d’Alary en particulier grâce à la magnifique adaptation en BD du Mon Traître de Sorj Chalandon, et il faut bien reconnaître qu’il fait des merveilles ici, conjuguant élégance et dynamisme – au détriment, occasionnellement, de la compréhension de certains passages -, avec une vraie énergie dans les (nombreuses) scènes d’action : oui, on est bien chez Zorro, même si le scénario, écrit par Alary lui-même, est, logiquement, bien plus dramatique et adulte que chez Disney et, évidemment, que dans les films classiques avec Douglas Fairbanks ; et oui, on se bat au pistolet, et on trace des Z sanglants à la pointe de l’épée… Mais on meurt tragiquement, et on ne sourit pas beaucoup : devant la tragédie qu’est l’oppression cruelle d’un peuple tout entier par les puissants et les riches, sacrifiant un pays tout entier à leurs magouilles, plaisanter ne serait guère de bon ton. Et si l’on a envie, en refermant Don Vega, non seulement de lire la suite de l’histoire (Diego vient de naître !), on est aussi intéressé par en découvrir plus sur la Californie du XIXè siècle, ce qui montre qu’Alary a bel et bien remporté son pari !
Eric Debarnot