Après avoir partagé des moments du quinquennat de Hollande, Mathieu Sapin s’invite dans celui de Macron, s’autorisant au passage un parallèle assez habile et très intéressant entre la vie de Jean Racine sous Louis XIV et celle dans le petit monde élyséen.
Il s’était pourtant juré de ne pas refaire de politique, et finalement il a replongé. Il faut dire qu’il avait passé près de neuf mois à suivre la campagne de 2012, puis deux ans à traîner dans les couloirs de l’Élysée, suivant François Hollande dans ses déplacements, et devenant presque un intime de l’ancien président avec lequel d’ailleurs il continue de garder des contacts, comme il l’évoque dans ce nouveau livre.
Mathieu Sapin a donc décidé de redescendre dans l’arène comme il dit lui-même. D’abord pour suivre la campagne électorale de Emmanuel Macron et ensuite son début de mandat mouvementé avec notamment le conflit avec les gilets jaunes. La différence c’est qu’ici il met en parallèle (toutes proportions gardées) son statut avec celui de l’auteur classique Jean Racine, une partie du récit étant centrée autour de l’auteur de Britannicus qui renonce à écrire des pièces de théâtre pour devenir l’historiographe attitré de Louis XIV. Une manière pour Mathieu Sapin de s’interroger sur son travail et sur sa relation aux hommes politiques.
Il faut dire qu’il s’est passé pas mal de choses pour Mathieu entre la sortie de son livre sur François Hollande, Le Château en 2015, et celui-ci. Entre les deux, il y a eu Gérard, cinq années dans les pattes de Depardieu qui a fait le buzz et s’est plutôt bien vendu. Si bien que désormais, Mathieu Sapin est connu et ne passe plus vraiment inaperçu. A ce sujet, il faut voir comment Macron va essayer à plusieurs reprises de pousser Mathieu Sapin à servir d’intermédiaire entre lui et Depardieu afin d’arranger un dîner. Un détail qui interroge sur les limites du statut de l’auteur de BD dans cet exercice qui consiste à être à la fois dedans et en dehors de la machine élyséenne, avec une position d’observateur qui est parasitée par la reconnaissance dont il bénéficie, et son influence nouvelle. Et à ce sujet, le livre est très intéressant et montre que l’auteur n’est pas insensible à la question.
Au fil des pages, on continue de suivre la vie au sein d’un microcosme élyséen que l’on commence à bien connaître… même si les protagonistes ont changé entre 2012 et 2017, et donc, en parallèle, la vie de la cour du Roi Soleil avec les rapports qu’entretient le dramaturge avec le Roi. Une occasion pour le lecteur d’apprendre beaucoup de choses sur la vie de Jean Racine, et aussi de se rendre compte des similitudes qu’il peut y avoir entre la vie à la cour et celle de la vie quotidienne à l’Élysée.
Encore une fois, c’est un vrai bonheur que de dévorer les pages de ce double récit. Il faut dire que Mathieu Sapin maîtrise à la perfection les codes du documentaire en bande dessinée. Un exercice qui n’a plus trop de secrets pour lui puisque, rappelons-le, il a débuté avec ce format-là en 2010 avec le journal du tournage du film Gainsbourg vie héroïque de Joann Sfar.
Même s’il est sans doute moins surprenant que Le Château, Comédie-Française reste une belle réussite, avec cet humour, ce sens du détail et de l’anecdote, ces scènes cocasses que seule la BD peut nous offrir, avec ces apartés toujours instructifs et riches de sens, son dessin à la fois naïf et réaliste et ses couleurs chatoyantes. Un livre qui permet aussi de se rendre compte des différences qui peuvent exister entre les personnalités de François Hollande et Emmanuel Macron.
Un livre qui restera en tout cas comme un point de vue original sur le quinquennat actuel avec pour l’auteur du Journal d’un journal une générosité et une forme d’autodérision dans sa manière de raconter ses aventures… il faut bien l’avouer toujours aussi désopilantes.
Benoit RICHARD
Comédie française, voyages dans l’antichambre du pouvoir
Scénario, Dessin : Mathieu Sapin
Editeur : Dargaud
168 pages – 22,50€
Date de parution : 9 Octobre 2020
