Paranormal, étonnante série égyptienne produite par Netflix, nous permet de découvrir un écrivain fantastique majeur, Ahmed Khaled Tawfik, et son merveilleux personnage de Refaat Ismael. Une bouffée d’oxygène dans un genre souvent trop conventionnel.
Gravitant sous orbite américaine, ou au mieux anglo-saxonne, les fans de fantastique que nous sommes n’avions jamais entendu parler, avouons-le, de l’égyptien Ahmed Khaled Tawfik, qui est quand même le plus grand écrivain fantastique en langue arabe. Auteur de deux cents romans, Tawfik a inventé en particulier l’un des plus beaux personnages du genre, le Docteur Refaat Ismael, devenu par la grâce de la nouvelle série TV égyptienne, Paranormal, l’un des plus étonnants nouveaux personnages de fiction que nous ayons rencontrés cette année.
Reefat est un incorrigible intellectuel, à la fois terriblement inhibé – incapable de jamais dire ce qu’il pense, en particulier aux femmes ! – et délicieusement cynique : ses considérations (en voix off) ainsi que ses réparties délicieusement humoristiques (sa fameuse réponse au conseil donné de répandre de l’encens pour chasser les esprits, « Pourquoi ? Ils sont asthmatiques ? » est l’une des nombreuses perles parmi les dialogues de Paranormal…), sa foi en une malchance omniprésente, son refus obstiné de reconnaître l’existence de tout ce qui n’est pas confortablement « réel », en dépit des événements surnaturels qui s’accumulent dans son existence, font de la série une sorte de « must » décalé. Avec son jeu « droopyesque », qui tend souvent vers une sorte d’hébétude improbable, Ahmed Amon incarne pleinement cet anti-héros, dont la vie s’enfonce progressivement dans un véritable enfer alors qu’il est la cible de tout ce que l’au-delà semble avoir de maléfique : momies vengeresses (on est en Egypte, quand même !), monstres des sables, naïades assassines, incube implacable, et surtout ce fantôme de petite fille, omniprésent dans sa vie depuis une rencontre obsédante durant son enfance.
On pourra malheureusement reprocher à Paranormal un rythme indolent, qui peut même s’avérer soporifique dans certains épisodes moins inspirés, des effets spéciaux de qualité variable (l’épisode du « gardien de la caverne » fleure bon la série Z…), mais il y a deux choses qui compensent largement ces défauts : on appréciera tout d’abord la reconstitution soignée d’une Egypte des années 60, certes en proie à des crises violentes sous Nasser, mais ouverte à la modernité, où les femmes jouaient un rôle important dans la société (les deux « amoureuses » de Refaat sont les personnages les plus forts de la série…) et où la montée de l’islamisme paraissait littéralement impossible. Les deux derniers épisodes sont, en outre, les plus beaux, les plus convaincants : tour à tour perdu dans le dédale de ses cauchemars où il affronte des visions terribles, et en particulier un incube sans pitié, et dans l’espace mental – remarquable – d’une maison hantée où il ne cesse de revenir, Reefat doit faire face à une pure tragédie, qui le forcera à réévaluer toute son existence.
On ne peut donc que se réjouir de cette nouvelle fenêtre que Netflix ouvre sur des imaginaires « autres » que ceux qui peuplent la majorité de nos fictions occidentales : malgré ses imperfections, Paranormal a tout d’un grand bol d’oxygène !
Eric Debarnot