Si le tome 5 de la série phare de la littérature française actuelle, l’Arabe du futur, est une sorte de parenthèse désenchantée dans la guerre familiale (et culturelle, et religieuse) de la famille Sattouf, c’est aussi l’un des plus riches et des plus beaux à date.
La couverture du Tome 5 de l’Arabe du futur annonce…la « couleur » : le bleu français (bleu, blanc et rouge sont les couleurs de ce nouveau volume) ou bien plutôt breton, a remplacé le vert de l’islam, de la Syrie, des origines et du père, disparu à la fin du tome 4 en enlevant le jeune frère de Riad. Ses 176 pages nous raconterons donc la vie à Rennes du jeune Riad Sattouf, au sein d’une famille dévastée par la disparition de l’enfant, et aussi, heureusement, pour lui, dans son collège, puis son lycée, où il connaît les affres – finalement bien moins tragiques – de l’adolescence.
Ce « retour » à une chronique – bien entendu très drôle – de la vie scolaire, des années de « formation » renvoie immanquablement à d’autres travaux de Sattouf, que ce soit la Vie secrète des jeunes, le film les Beaux Gosses, Retour au Collège, voire la série parallèle des Cahiers d’Esther. On est donc en terrain (trop ?) connu, mais Sattouf introduit ici des éléments de violence sociale : les agressions des jeunes rennois des quartiers défavorisés, la menace skinhead, la peur dans la rue ou dans les transports en commun… on est loin de l’image d’une province encore apaisée au début des années 90 (ce volume se déroule de 1992 à 1994) !
Finalement, plutôt que pour les affres, pas très originaux, de la puberté, et pour cette énigme effrayante de la sexualité qui s’approche, on se passionnera beaucoup plus pour les découvertes littéraires du jeune Sattouf : d’abord Lovecraft, puis Moebius, Druillet et Bilal vont agir comme des révélations, et lui servir de guides au cours de ces années difficiles d’attente (… du retour improbable de l’enfant volé) et d’angoisse (… face à la menace d’un père toujours susceptible re reparaître pour kidnapper ses autres enfants et tuer sa femme). Musicalement, ce seront d’abord Nirvana et le phénomène Cobain – idole absolue des lycées… -, puis le thrash metal qui vont agrandir les perspectives de Riad, et lui ouvrir les yeux quant aux obsessions religieuses de son père, de plus en plus rigoureux dans l’Islam, et de sa mère qui voit la Vierge et un pèlerinage à Lourdes (hilarant et effrayant…) comme une dernière chance après que les politiques et la télévision aient échoué à l’aider à retrouver son fils… Les quelques pages de réflexion sur la déchéance de Lucifer et de Lilith se concluent superbement par un « je compris que les mythes fondateurs des religions avaient comme points communs la haine de la liberté sexuelle et la domination de l’homme sur la femme, le patriarcat » qui marque en quelque sorte la fin des illusions de l’enfance et l’entrée dans l’âge adulte de Riad.
Fascinante aussi est la foi absolue de la famille et des professeurs de Riad en son talent de dessinateur et de conteur, alors que lui-même hésite tout naturellement quant à son avenir. Difficile de ne pas exploser de rire quand il annonce à sa professeure qu’il veut être pilote plus tard, et qu’elle lui rétorque : « Toi, t’es un DESSINATEUR ! POINT ! Je te mets pas des 18 et des 19 pour que tu finisses comme au Mont St Odile… » (référence à un tragique accident d’avion près de Strasbourg qui avait frappé la France à l’époque…). Difficile aussi de ne pas remercier du fond de notre âme ces gens qui ont guidé Riad Sattouf dès ses jeunes années et nous permettent en 2020 de lire des pages comme les dix dernières de l’Arabe du futur, Tome 5 : le retour du père à Rennes et la confrontation qui s’ensuit sont peut-être parmi les meilleures expériences de BD que nous pourrons avoir en 2020 !
La fin, suspendue, incertaine, déchirante, nous rend d’autant plus tristes d’avoir à attendre une autre année pour connaître la suite (et la conclusion… ?) de l’histoire de Riad Sattouf, héros ordinaire, mais formidablement contemporain, de nos guerres quotidiennes.
Eric Debarnot