Du fond de l’écho des souvenirs du premier confinement, Dominique A nous parle avec toujours plus de pertinence de notre ultra-moderne solitude, celle de ce second isolement obligé. Avec Vie Etrange, cet album presque malgré lui, il reprend les mêmes chemins empruntés sur La Musique/ La Matière pour une suite de chansons indispensables, émouvantes et pudiques.
Qu’on se le dise, Dominique A ne sera jamais un chanteur « Mainstream« , il n’a peut-être jamais été un chanteur indépendant non plus. Non, Dominique A a toujours été autre chose, un continent à lui-seul, un continent car comme tous les indécis, le nantais ne s’est jamais senti à l’aise dans tel ou tel camp, dans telle posture, dans telle ouverture ou tel cloisonnement. Certains auront reproché à Dominique A ses succès récents, sa Victoire de la Musique, ses chansons plus limpides, sa hargne plus retenue. A quoi bon ? Comme nous, Dominique A a vieilli et la patine du temps a fait également son travail sur son œuvre. Pourquoi reprocher à un musicien tel ou tel choix quand on sent l’artiste comme piégé dans une image et toujours soucieux de se réinventer ?
Avec Vie Etrange, cet album qu’il n’assume pas comme un album à part entière comme il n’avait pas totalement assumé le double-album La Musique / La Matière, l’un des sommets de sa carrière qui en comptent de nombreux autres, Dominique A poursuit dans les mêmes matières minimales que l’on entendait déjà dans La Fragilité sauf qu’autant la livraison de 2018 restait une œuvre collaborative avec Sacha Toorop, Dominique Brusson et quelques autres, autant Vie Etrange est né d’un effort solitaire enregistré chez lui, sur les bords de la Loire, au coeur du confinement du printemps 2020 qui hante ce disque.
Annoncé par l’Ep Le Silence Ou Tout Comme qui contient quelques uns des titres qui constituent Vie Etrange, Dominique A se rappelait avec élégance à notre souvenir avec des titres à la beauté assurée et ténébreuse. Je pourrai reprendre à mon compte chacun des mots d’Eric Debarnot dans sa chronique de juillet ou plutôt Dominique A pourrait les reprendre à son compte tant comme son aîné, Vie Etrange nous saisit et nous bouleverse plus peut-être que tous les (formidables) albums que Dominique a sortis depuis. Oui, à ce point.
Dominique A a su conserver cette intégrité que l’on sent dans chacun de ses disques, les plus réussis comme les moins évocateurs. Sauf que les disques du nantais font partie de ceux qui gagnent en profondeur avec les années. On a raillé la production en son temps de Tout Sera Comme Avant (2004), rapprochée à son désavantage de son modèle, L’Imprudence de Bashung. Pourtant à bien réécouter ce disque un peu méprisé, y compris par son public de la première heure, cet album regorge de titres immenses comme Revenir Au Monde, Les Eoliennes ou Bowling. Tout Sera Comme Avant fut une étape de transition pour un Dominique A en perpétuel travail sur sa voix. Car assurément, ce qui a le plus évolué dans l’univers de l’auteur de La Fossette (1992), c’est certainement son chant. Il le prouve une fois encore sur Vie Etrange, sa seule voix apportant contrastes et inflexions à son écriture blanche.
Il en faut du talent pour savoir se paraphraser sans se trahir, s’autociter sans se répéter de chansons en chansons. Car Vie Etrange est un disque de citations, de clins d’oeil, une œuvre bilan à mi-parcours. Un temps suspendu dans le creux d’un ralentissement forcé à la faveur ou plutôt à la force d’un confinement. De l’inaugural et sublime Papiers Froissés, lointaine réminiscence de l’Atmosphere de Joy Division à A La Même Place, possible rencontre entre Le Commerce De L’Eau et Hotel Congress, Vie Etrange en hommage à Christophe disparu au printemps dernier. On y entend un Dominique A se nimbant dans le spectre de l’auteur des Mots Bleus. Rien Qu’un Amour s’appuie sur des structures électroniques et une rythmique sèche, des dissonances vaguement martiales qui ne sont pas sans rappeler Coil. Dominique A continue d’écrire sur un quotidien un peu dérangé, presque banal, presqu’anecdotique et naturaliste. Il dit la matière liquide, il chante un exode intemporel, un isolement oublié.
C’était un endroit mystérieux
Au bord du fleuve, un banc de sable
Passé le sol marécageux
Où se convulsaient de grands arbresDominique A – Un Endroit Mystérieux
On pourra entendre une relecture subtile de la thématique de Des Etendues sur le superbe et allusif Un Endroit Mystérieux dans une conjugaison d’un expressionnisme pictural à une impression au bord du lyrisme, cette quête d’un ailleurs serein qui court toute sa discographie d’Endermonde à Eleor. Quand Je Rentre, un des grands moments du disque ne sera pas sans rappeler les atmosphères de Gisor, l’un des plus beaux titres de Dominique A sur l’Ep Kick Peplum (2009) et trouvable également sur la version Deluxe de La Musique/ La Matière.
Je peux vous l’avouer, j’en ai coulé quelques larmes à l’écoute de cette reprise tellement pertinente de Marc Seberg au printemps dernier avec ces mois d’avril qui s’éternisent et cette citation aux synthétiseurs des premiers Simple Minds en chute de ce morceau. Pourtant L’éclaircie est loin d’être mon morceau préféré de Marc Seberg, de Philippe Pascal et des siens, me retrouvant bien plus dans Les Ailes De Verre. Mais au delà de l’hommage évident au rennais, j’y ai entendu une inscription du passé dans notre présent, la preuve de quelques fleurs plantées par Philippe.
Tu me dis qu’auprès de moi
On se sent seul
Qu’on est perdu
Au fond de soi
Qu’on se sent comme des mots
Sans une voix
Un sol d’automne sans une feuilleDominique A – Sol D’Automne
Et Dominique A de réintroduire la crainte et la menace des automnes à venir, les peurs prémonitoires d’un nouvel enfermement, d’une solitude indicible. Et si avant tout le monde, il avait compris, il avait déduit ces moments seuls avec soi-même que nous vivons à nouveau. Et si L’éclaircie souhaitée n’arrivait jamais, si les lumières n’accouchaient que de nouvelles trahisons, si l’horizon restait fini ?
Si la seule chose que l’on pouvait retenir de tout cela était un retour au silence comme pour mieux entendre la voix amie de Dominique A, cette voix auprès de laquelle on se sent finalement un peu moins seuls.
Greg Bod