Avec ce joli roman graphique « entre ciel et mer », Léonie Bischoff dresse le portrait d’Anaïs Nin, dont les écrits érotiques font écho à la version la plus moderne d’un féminisme libre, hors de tout diktat et à la sexualité assumée.
Cette femme d’exception, pionnière à son époque, était davantage connue pour ses journaux intimes et secrets, dans lesquels elle confessait, avec sincérité et une liberté de ton inégalée, ses sentiments sur l’amour et la sexualité. A la fois fidèle épouse et amante libertine, elle se lia d’amitié avec des écrivains de premier plan, notamment Henry Miller, une relation à laquelle ce biopic accorde une large place.
Dans cette première moitié d’un XXe siècle encore très patriarcal mais où la voix des féministes commençait à se faire entendre, Anaïs Nin, sans être pour autant militante, revendiquait pour sa part sa volonté d’écrire « comme une femme ». Jeune autrice suisse de bande dessinée, Léonie Bischoff a au moins ceci en commun avec l’écrivaine dans sa façon de dessiner, qui recèle une volupté et une douceur toute féminine, ne serait-ce que par le choix graphique de ne pas encrer son travail, élaboré entièrement aux crayons de couleur. L’un deux, multicolore, a été utilisé pour les contours, ce qui produit un résultat assez original. Oscillant entre un minimalisme sobre et une exubérance colorée, avec quelques beaux passages plein de poésie, le trait dégage une vraie sensualité lorsqu’il en vient à illustrer le plaisir féminin.
C’est ainsi que Léonie Bischoff va évoquer le parcours riche et romanesque de cette apatride qui « a grandi entre deux continents, trois langues, et peinait à trouver sa place dans une société qui reléguait les femmes aux seconds rôles ». Femme de dilemme, coincée entre son rôle d’épouse aimante et son désir d’émancipation, Anaïs Nin fut conduite à « inventer » sa vie à travers son journal intime, n’hésitant pas à l’enjoliver, la comparant à une œuvre d’art que sa propre « magie » lui permettait de sculpter. Celle qui trompait son mari Hugo tout en confessant qu’elle avait besoin d’aimer Henry (Miller) pour mieux l’aimer — car elle était profondément attachée à ce mari qu’elle définissait comme étant « parfait » — était une hédoniste bisexuelle dont le besoin de séduire était irrépressible. Très jolie femme, elle n’y voyait pas à mal, disait-elle, mais préférait le mensonge pour éviter de faire souffrir Hugo. Pour cette introvertie dont la quête d’absolu restait contenue, l’acte d’amour requérait l’union des esprits comme des corps.
Au final, cette vie, quand bien même elle n’est que rêvée, nous charme, mise en relief par un dessin élégant qui nous plonge dans une époque (les années folles) qui n’était en fait qu’une parenthèse enchantée entre les deux terribles guerres du XXe siècle qui plombèrent l’Europe. A travers la biographie de cette femme libre et transgressive, Léonie Bischoff nous livre un récit original et intemporel où le désir féminin est réhabilité, tout en évoquant des thèmes aussi sensibles que l’inceste et l’avortement avec la subtilité que permet son trait imagé.
Laurent Proudhon