L’édition surprise d’une version live de Greendale, le « livre audio » de 2003 de Neil Young, fait mieux que nous faire patienter en attendant le Volume 2 des Archives, elle nous permet de réévaluer une œuvre qui avait été négligée à l’époque de sa sortie.
« Grandpa said to cousin Jed / Sitting on the porch / “I won’t retire / But I might retread / Seems like that guy singing this song / Been doing it for a long time / Is there anything he knows / That he ain’t said?” » (Grand-père a dit à son cousin Jed / Assis sur le porche / « Je ne vais pas prendre ma retraite / Mais je pourrais bien me remettre en marche / On dirait que ce type qui chante cette chanson / ça fait un bail qu’il le fait / Est-ce qu’il y aurait quelque chose qu’il sait / Et qu’il ne nous dit pas ? »)
On est en 2003, et l’ami Neil Young, jamais à court d’idées, jamais avare de nouveaux concepts, publie Greendale, un drôle de disque qui n’est pas à proprement parler un album de chansons, même pas vraiment un concept-album, ni un « opéra rock » comme on disait dans les années 70, mais plutôt un roman, une sorte de « livre audio » comme on appelle ça aujourd’hui, mais mis en musique ! Certaines critiques US étaient dithyrambiques, qualifiant les textes de Neil de « littérature » de haut niveau, conjuguant chronique chaleureuse de l’atmosphère des petites villes américaines, critique virulente de la corruption des élus et de l’obscénité des médias sensationnalistes, et le fan français moyen, surtout s’il n’est pas trop anglophone, avait tendance à se faire un peu suer durant ces « chapitres » qui duraient tous entre cinq et dix minutes où Neil récite / chantonne sur un background musical country-rock-bluesy un peu passe-partout. Greendale était aussi vendu un peu abusivement comme un disque de Crazy Horse, alors que seuls Molina (à la batterie) et Talbot (à la basse) étaient présent pour appuyer le patron, qui sera donc seul à bord responsable de la guitare.
Très honnêtement, après avoir écouté l’œuvre une paire de fois, et suivi d’une oreille distraite les aventures des membres de la famille Green – et du fameux Grandpa – pris au milieu d’un tourbillon médiatique suite à l’assassinat d’un flic du coin, on avait soigneusement rangé le disque sur une étagère sans le réécouter pendant près de 20 ans, et on était passé à autre chose !
La décision de Neil de nous sortir ce mois-ci une version live du « spectacle » Greendale, alors que tous les fans de la planète s’excitent plutôt sur la sortie – toujours différée – du Volume 2 des Archives (la première édition ayant été a priori épuisée dès les pré-commandes !), est une surprise… même si, avec le Loner, on sait depuis des décennies qu’il faut s’attendre à tout !
La première impression est qu’il y a peu de différences entre Return to Greendale, ce live, et l’album original, ce qui nous donne plutôt envie de voir une version filmée, puisque des danseurs s’ébattaient a priori sur scène autour de Neil et ses potes : et pourquoi pas ? Mais, sans l’image, on se concentre sur le son…, ce qui confirme initialement le diagnostic de 2003 : oui, on se dit d’abord qu’il y a peu de « vraies chansons » parmi les 10 « plages »… et puis, à la réécoute, ces refrains simples, répétitifs, faciles à chanter et souvent réduits à la portion congrue (Falling from Above, l’acoustique Bandit qui retrouve même l’émotion des années 70), ce recyclage efficace et pas forcément très novateur du country rock classique de Neil (Leave the Driving, où la voix sait distiller une vraie tension pour raconter le fameux meurtre, et où l’harmonica et la guitare sont fidèles à la légende, les majestueux Grandpa’s Interview et Sun Green), ces blues ultra-relax qui permettent quand même çà et là à la guitare électrique magique de Neil de se rappeler à notre bon souvenir (Double E, Carmichael – très belle chanson en dépit de sa longueur), ces quelques chœurs féminins (Devil’s Sidewalk) ou masculins (Bringin’ Down Dinner, et son orgue poignant) qui illuminent une chanson… tout ça compose un bien bel album.
A nouveau, comme en 2003, on conclura qu’il y a ici, comme en bonus inespéré, une vraie merveille, un morceau colossal et indispensable : la conclusion furieusement écolo et très puissante – avec harangues au porte-voix en bonus – qu’est Be the Rain, le titre / happening qui referme magnifiquement l’épopée de Greendale. Un titre qui fait qu’on remerciera une fois encore Neil Young d’avoir sorti de son placard ce live inattendu. Et, malgré quelques errances au cours de sa longue carrière, de rester la plus belle VOIX de sa génération, celle qui sait chanter des choses véritablement importantes : « Be the ocean when it meets the sky / « greek freighters are dumping crap somewhere right now » / Be the magic in the northern lights / « the ice is melting! » / Be the river as it rolls along / « toxic waste dumping from corporate farms » /Be the rain you remember falling / « be the rain, be the rain » / Save the planet for another day ! » (Soyez l’océan quand il rencontre le ciel / « des cargos battant pavillon grec déversent de la merde quelque part en ce moment » / Soyez la magie des aurores boréales / « la glace fond ! » / Soyez la rivière qui roule / « Déversement de déchets toxiques des fermes appartenant à de grandes Corporations » / Soyez la pluie dont vous vous souvenez qu’elle tombait / « Soyez la pluie, soyez la pluie » / Sauvez la planète pour un autre jour !).
Les chansons de Greendale ont été écrites en 2003, il y a 17 ans. Qu’est-ce que nous avons changé depuis ?
Eric Debarnot