[Netflix] The Crown – Saison 4 : la série confrontée à deux mythes

Après une troisième saison irrégulière, The Crown confirme sa maîtrise et sa classe exceptionnelles en se confrontant avec succès à deux mythes contemporains, Margareth Thatcher et Lady Di.

The Crown S4
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Entre récit historique, chronique mondaine et introspection psychologique

The Crown n’avait au départ pas grand-chose d’attirant, semblant vouloir capitaliser sur la fascination (quasi) universelle pour la monarchie britannique, tout en misant à coup de budgets colossaux sur une reconstitution historique hyperléchée, ce qui promettait un académisme pesant. Et puis… non ! The Crown s’était avéré dans ses deux premières saisons un parcours, en permanence stimulant, à travers une époque où « l’Empire Britannique » s’effondrait, où un vent de liberté soufflait déjà sur la société, alors que les mœurs étaient encore corsetées par un ensemble de règles complexes et contraignantes.

The Crown S4 posterLa série de Peter Morgan louvoyait avec élégance entre récit historique, chronique mondaine et introspection « psychologique » : ce sont sans doute les ravages sur son couple, sur sa famille (et sur elle-même, encore pleine d’illusions) que cause la soumission de la jeune Reine Elizabeth aux règles de sa position politique et de son rôle symbolique, qui constituaient le sujet le plus fort des deux premières saisons. Le fait que les scénaristes n’aient jamais reculé devant la complexité intellectuelle, morale ou juridique des dilemmes auxquels a fait face Elizabeth, et nous ont accompagné patiemment, sans aucune volonté simplificatrice, à travers le labyrinthe d’une vie soumise malgré elle à un appareil terrifiant, constitue le cœur artistique de la réussite de The Crown.

A noter que, à partir de la seconde saison, la diversification des thèmes, au-delà de l’effacement, quasi-consommé, de la femme derrière « la Couronne », a changé la forme de la série, chaque épisode ou presque devenant un petit film d’une heure avec son sujet, son scénario, voire son style, particuliers. Et ce fut décidément étonnant de constater combien la magie de The Crown aura continuer à opérer dans tant de registres différents…

Si notre enthousiasme face à la troisième saison de The Crown, avait été un peu moindre, c’est que, comme la majorité des téléspectateurs, le changement complet du casting opéré par les showrunners nous avait laissés frustrés, un peu orphelins : il nous avait fallu nous réhabituer à de nouveaux visages alors que nous avions appris à tant aimer Claire Foy et Vanessa Kirby. Et même l’immense et indiscutable talent d’Olivia Colman nous laissa un temps indifférents. Il nous fallut bien admettre finalement que le nouveau casting était lui aussi impeccable, si ce n’était la contre-performance gênante d’une Helena Bonham-Carter qui ne réussissait pas à incarner la pleine dimension de son personnage.

Deux mythes pour la quatrième saison

La nouvelle saison était, forcément, la plus attendue de toutes, parce qu’avec l’entrée en scène de l’idole globale que fut Lady Di, ainsi que de Margareth Thatcher, monstre politique qui marquera son époque autant que Sir Winston Churchill la sienne, The Crown touchait cette fois à deux mythes quasi-contemporains, et que, par conséquent, le pari des showrunners devenait sensiblement plus risqué… Et il faut bien admettre que Gillian Anderson semble souvent trop dans l’effort, tant elle cherche, peut-être pénalisée par l’absence d’une vraie ressemblance physique, à trouver la vérité du personnage de Thatcher dans l’imitation de sa voix, de ses expressions, de sa gestuelle et de ses poses. Le même reproche peut être fait à Josh O’Connor, qui semble beaucoup moins à l’aise en Prince Charles que dans la saison précédente, avec ses regards fuyants et sa tête toujours baissée (… même si l’on veut bien admettre que la personnalité troublée et trouble du Prince justifie cette rigidité alarmante !).

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A l’inverse, le choix de la quasi-inconnue Emma Corrin pour interpréter la Princess of Wales est une formidable réussite, tant la jeune femme irradie en permanence une lumière éblouissante et justifie pleinement à l’écran le culte universel que suscita dans la réalité la jeune princesse. Les 4 épisodes (seulement !) centrés sur elle (Episode 2 : The Balmoral Test ; épisode 3 : Fairytale ; épisode 6 : Terra Nullius, et dans une moindre mesure l’épisode 9, Avalanche…) sont des réussites majeures, conjuguant éblouissement et douleur devant les souffrances d’une jeune femme aussi brillante, littéralement broyée par le comportement de son mari et par l’indifférence presque criminelle de la famille Windsor. La série s’élève alors à de telles hauteurs d’intelligence et de classe qu’on souffre un peu lorsque, à chaque fois, l’épisode suivant nous oblige à quitter l’intimité de Diana Spencer pour explorer d’autres aspects de l’histoire de la monarchie anglaise.

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C’est la guerre

Certains ont regretté aussi que la série n’analyse pas plus l’impact socio-économique du leadership Thatcher sur la Grande-Bretagne, mais on veut bien admettre que ce n’est pas là le sujet central de The Crown. Et on leur rétorque que ce qui est montré de Margareth Thatcher est déjà singulièrement accablant : son mépris pour les classes laborieuses, paradoxalement combiné avec une haine sauvage envers l’aristocratie, son indifférence vis-à-vis de la misère qui s’étend sur le pays, la violence avec laquelle elle a lancé le pays dans la Guerre des Malouines (même si, en face, la junte des généraux tortionnaires argentins méritait bien cette leçon !), son racisme profond, exprimé sans réserve vis-à-vis des leaders des pays du Commonwealth, son indéboulonnable certitude en ses choix, même contre tout le reste du gouvernement… tout est bien ici, bel et bien montré, jusque dans le fait qu’Elizabeth, toute traditionnelle qu’elle soit, et confinée à son rôle sans autorité aucune, ne puisse plus supporter sa First Minister (voir le formidable huitième épisode 48 :1, grand moment d’abjection politique !).

La saison se referme de manière intense par un dernier épisode, le bien nommé War, qui concentre en 54 minutes deux crises majeures : la rébellion des députés conservateurs contre Thatcher qui conduira au départ anticipé de celle-ci, et la véritable – et terrible – déclaration de guerre (et de haine !) du Prince Charles à son épouse, qui va entraîner les évènements dramatiques que l’on a encore en mémoire.  Préparons-nous donc psychologiquement à la cinquième saison… qui, l’année prochaine, devrait a priori à nouveau opérer un remplacement des acteurs dans certains rôles principaux…

On en tremble à l’avance !

Eric Debarnot

The Crown – Saison 4
Série britannique de Peter Morgan
Avec : Olivia Colman, Tobias Menzies, Gillian Anderson, Josh O’Connor, Emma Corin
10 épisodes de 55 minutes environ mis en ligne (Netflix) le 15 novembre 2020