Concernant le néo-classique, on retiendra pour 2020 quelques grandes réussites dont Amor Infiniti du nantais Manuel Adnot. Il manquait une révélation dans ce genre, c’est chose faîte avec Shoden, un album pour découvrir l’univers délicat et racé de la pianiste lorientaise.
Vous ne connaissez sans doute pas encore le travail de la pianiste lorientaise Cécile Séraud, pour cause, Shoden est sa première tentative en solo et quelle tentative ! La dame tente, ose et réussit souvent. Shoden n’est pas seulement un disque de piano solo, c’est aussi et avant tout une collection de pièces de musique de chambre, dix pièces mélodiques que l’on imagine aisément composées avec une minutie qui tutoierait l’intime, la douceur et l’incarnation. Evacuons de suite la question des influences, bien sûr, on entendra ici et là Erik Satie, ici encore Chopin, là Yann Tiersen. Mais tout cela ne veut pas dire grand chose, le risque de ces citations serait de vouloir enfermer la lorientaise dans une école musicale, dans un possible académisme.
Cela ne veut pas dire grand chose car Cécile Séraud utilise son piano plus comme un pinceau, elle cherche à esquisser quelques peintures, à dresser la carte de paysages d’émotions à la fois constitués de granit, de larmes et de tendresse. Elle ne laisse aucune place à une virtuosité point trop intimidante, aucun contrepoint trop technique. Elle reste toujours à la lisière de l’évanescence, à la limite des choses. Du courant minimaliste et d’Arvo Pärt en particulier, elle retient la rythmique du silence.
Rien que le titre du disque nous donne quelques indices, Shoden, ce mot japonais qui signifie Ose te déployer et qu’il est aussi la première étape d’une technique de méditation. Ces dix pièces instrumentales parfois accompagnées par le violoncelle de Juliette Divry incitent à une flânerie, une déambulation intérieure, une forme d’errance sans but, un wanderer, un vagabond comme extirpé des pages d’un livre de Knut Hamsun.
Mon coeur se repose, rêve,
s’apaise comme dans l’ivresse.
Autour de moi dans les bois, l’immense,
le doux bruissement me submerge.Knut Hamsun – Extrait du Choeur Sauvage
En ces heures d’enfermement et de confinement, Shoden est un disque idéal pour s’enfuir de nos quatre murs moroses, de nos écrans imposés par le télétravail. On entend ici et là quelques échos nordiques du Edvard Grieg et de ses compositions essentiellement ramassées au seul piano. Mais la proximité la plus forte sera à faire avec Philip Glass pour ces mêmes climats aquatiques, on jurerait entendre le romantisme désuet d’un Mikael Tariverdiev le temps de certaines envolées.
Cécile Séraud sait se faire accompagner. En effet, pour enregistrer Shoden, elle a fait appel à Sylvain Texier qui se cache derrière les deux projets O Lake et The Last Morning Soundtrack qui aura su lui permettre d’exprimer toute l’étendue de sa sensibilité sans jamais nuire à son intégrité. A l’écoute de Shoden, on comprend vite pourquoi les deux ont collaboré ensemble tant ils semblent avoir en commun de vertus similaires. L’un comme l’autre sont nourris à la Pop et en gardent bien des éléments dans la structure narrative de leur rêverie. On se plait à imaginer un projet à quatre mains entre les deux musiciens.
Et si parfois la musique pouvait ressembler au vent qui souffle entre chaque vague, si la musique pouvait se faire l’interprète du murmure des galets contre la vague, si la musique pouvait ranimer les grands chants des forêts ? Et si toute l’attraction de Shoden résidait dans cette capacité à faire revivre une vieille religion animiste, faite de croyances et de sensations, de perceptions sensorielles et de dialogues avec la nature ? On imagine aisément une Cécile Séraud à la fois contemplative mais aussi actrice de l’environnement qu’elle traverse, désireuse d’y laisser une trace. Si cette trace se limitait seulement à Shoden, ce serait déjà très bien tant il s’assume comme une pleine réussite.
En résulte un disque d’une belle élégance et d’une maturité rafraichissante, dix pièces à la fois évocatrices et nimbées de mystère comme une brume sur l’écume blanche, comme un ciel noir qui ne cesse de se charger, comme un paysage qui continue de vivre longtemps après notre départ.
Shoden nous invite à la suspension, à l’intériorisation, au face à face pour une fois apaisé avec soi.
Greg Bod