Aurélien Ducoudray et Olivier Martin réhabilitent un héros allié méconnu, qui après avoir vécu (volontairement) l’enfer des camps dans le but de fomenter une révolution, fut trahi par les siens pour finir ensuite exécuté.
Il est des destins difficiles à porter. Il n’était pas bon pour un homme de naître polonais en 1901. Jeune engagé volontaire, Witold Pilecki combat l’URSS en 1919-1921, puis retourne à la vie civile. Il rebâtit la maison ancestrale, exploite le domaine, avant de reprendre les armes en 1939. Vaincu, il refuse de se rendre et plonge dans la clandestinité. Pilecki propose à ses chefs de s’infiltrer dans le camp d’Auschwitz, afin d’en comprendre le fonctionnement et d’y organiser la résistance.
Dès son arrivée dans le camp, il est confronté à l’horreur. Il surmonte sa peur et enrôle plus de 1000 hommes. Ensemble, ils soutiennent le moral des prisonniers, chassent les espions et préparent la révolte. Quand le camp de concentration est vidé de ses Polonais pour se muer en camp d’extermination, le matricule 4859 se sent inutile. Après 947 jours de détention volontaire, il s’évade et reprend la lutte. Il participe à l’insurrection de Varsovie et est capturé par les nazis. Libéré par les Américains, il remet aux alliés une ultime version de son rapport, avant de rejoindre sa famille en Pologne. Il s’y sait condamné. Après une parodie de procès, il est exécuté par les communistes.
Mr X a consacré deux émissions de radio à ce héros tragique. Sagement, Aurélien Ducoudray se limite à la période d’Auschwitz, proposant en annexe un aperçu de sa vie. Le scénario est simple, sobre et linéaire. Sans jamais céder au découragement, son Pileki observe et décrit l’horreur avec réalisme et froideur.
Le dessin d’Olivier Martin est classique, rapide et précis. Avec une grande économie d’effets, il parvient à représenter l’horreur brute, rendant la lecture éprouvante. L’affaire Pilecki est tout sauf un divertissement. Place à la gravité, nul ne pénètre impunément dans Auschwitz. Les SS y tuent sans raison. Martin insiste sur les regards, sidérés et volontaires de Pilecki, hallucinés et affamés des déportés, sadiques et méfiants des gardiens. L’enfer existe et se déploie sous nos yeux.
Pilecki ne sera réhabilité qu’en 1990 et décoré de l’Aigle blanc, la plus haute distinction. Le texte intégral de ses rapports est publié en 2000 ! Ses supérieurs estimaient ses messages « exagérés ». Les Occidentaux et les Russes n’ont pas voulu savoir sur le moment, puis, après-guerre, préféré enterrer le rapport, évitant ainsi d’avoir à justifier leur inaction. Le sacrifice de Pilecki n’est pas pour autant vain : grâce à lui, nous savons.
Stéphane de Boysson