Une très belle découverte graphique que ce jeune auteur, qui sort ici sa première BD en forme de conte SF. Si celle-ci s’adresse d’abord aux ados, sa poésie sombre et lumineuse ne pourra que plaire au plus grand nombre.
À travers le monde entier, de mystérieuses tours blanches apparaissent subitement, entraînant à chaque fois la volatilisation de centaines de personnes. S’agirait-il d’une invasion extra-terrestre ? Serait-ce le signe de la fin des temps, comme certains le prétendent ? Ainsi, la petite Selen va se réveiller dans une ville quasiment désertée de ses habitants, si ce n’est quelques rares humains qui semblent « bloqués » dans leur monde intérieur. Un garçon de son âge, Héli, va errer des jours durant dans un décor post-apocalyptique, avant de tomber sur Selen, réfugiée dans la chambre d’un hôtel vide…
Après le monde est une BD jeunesse de science-fiction qui résonne étrangement avec l’actualité. S’il n’est pas question de virus, les rues désertes dans lesquelles évoluent les deux jeunes héros Héli et Selen évoquent immanquablement le premier confinement — du moins pour tout ceux qui étaient en France de mars à mai 2020 —, qui donnait à nos villes des allures quasi-tchernobylesques.
Timothée Leman, jeune auteur qui signe ici sa première bande dessinée après avoir illustré en 2017 un roman jeunesse de Marie-Catherine Daniel, Les Aériens, également chez Sarbacane, révèle ici un talent graphique remarquable et un certain sens de la narration. Si la technique du fusain est plus répandue dans le domaine de l’illustration, cela ne l’a pas dissuadé d’y recourir, et on peut dire que le résultat est bluffant. Chaque case est un régal, sans parler des fabuleuses pleines pages… Cela confère aux décors, représentés de façon réaliste, une patine évoquant le monde de l’enfance et permet d’adoucir l’aspect anxiogène du sujet. L’univers très personnel développé par Timothée Leman n’est pas sans rappeler celui du maître Miyazaki, notamment dans cette approche du merveilleux qui laisse une large place au mystère et aux terreurs enfantines, et reste par ailleurs en phase avec les problématiques écologiques actuelles.
Avec ce récit narrant l’errance de deux enfants qui devront apprendre à survivre par eux-mêmes en affrontant l’inconnu dans un contexte post-apocalyptique, alors que les rares personnes qu’ils rencontrent n’apparaissent que comme des fantômes, on est typiquement dans le registre de la quête initiatique. C’est plutôt bien mené et assez captivant, même si on regrette la fin un peu abrupte qui ne fait que renforcer le côté sibyllin du propos. Reste que l’éditeur Sarbacane, qui ne prend pas le jeune public pour des imbéciles, ne s’y est pas trompé en publiant cette première œuvre, qui pourra même toucher au-delà de sa cible de départ un lectorat plus mature. C’est donc avec attention que l’on suivra le parcours futur de Timothée Leman.
Laurent Proudhon