Le Collectif de Nashville réussit l’exploit de concocter un album à la fois récréatif et absolument essentiel. Se prenant au jeu de la reprise, Kurt Wagner et ses amis de Lambchop nous aident à décoder le vocabulaire de leur écriture à tel point que les compositions de Stevie Wonder, Wilco, George Jones et quelques autres finissent par ressembler aux ambiances des auteurs de Nixon et Is A Woman.
On ne le dira jamais assez. Chez Benzine Magazine, on n’est pas totalement objectif avec Lambchop tant la musique de Kurt Wagner rentre en résonance avec nos histoires intimes et ce, depuis plus de 25 ans. Jamais le groupe ne nous aura déçu, bien sûr, certains disques sont de véritables jalons dans la discographie de Lambchop.
Bien sûr, il y a les incontournables, How I Quit Smoking (1996), What Another Man Spills (1998), le sublime Nixon (2000), Is A Woman (2002), peut-être leur chef d’œuvre, Mr M plus proche de nous (2012). Et puis après, Kurt Wagner a pris la poudre d’escampette pour tenter des chemins de traverse déjà entamés avec Hecta et The Diet en 2015, des terrains plus électroniques et plus portés sur l’expérimentation, en particulier sur la voix de Wagner et ce fameux Autotune employé ici autrement que comme un seul gadget.
Avec Trip, il prend encore un nouveau chemin, s’essayant à l’art délicat de la reprise comme pour mieux appréhender sa propre approche de la composition. Avec cette nouvelle proposition, Lambchop reprend totalement son statut de collectif, mot bien plus joli que groupe qui rappelle que la musique est toujours une affaires de personnes et non pas d’individus cloisonnés dans leur solitude. Chacune des six covers interprétées sur Trip sont une proposition faite par chacun des participants au disque. Autant Flotus et This (is What I Wanted to Tell You) semblaient plus refléter les pensées du leader du groupe, autant Trip s’affirme par une belle incohérence dans la playlist.
Ce n’est pas la première fois que Lambchop s’essaie à l’exercice de la reprise, on se rappellera de This Corrosion des Sisters Of Mercy en bonus de Nixon, des allusions au Psycho Killer des Talking Heads ou encore les clins d’oeil appuyés à Curtis Mayfield entre reprise de Give me your love et hommage à Baby It’s You le temps de The Book I Haven’t Read. On se ravira du retour du guitariste pedal steel Paul Niehaus après quatorze années d’absence, il n’avait pas collaboré avec Kurt Wagner depuis Damaged (2006), apportant sa contribution aux disques de Calexico. Il apporte beaucoup à ce disque. On ajoutera que Lambchop a également recruté deux nouveaux musiciens en les personnes de Matthew McCaughan croisé chez Bon Iver et Andy Stack chez Wye Oak.
Chaque musicien y va donc de son choix plus ou moins pointu, plus ou moins intriguant ou surprenant. Le long trip qu’est Reservations en ouverture, reprise de ce morceau extrait de Yankee Hotel Foxtrot, monument dans la discographie de leurs camarades de Wilco est la proposition faite par Matthew McCaughan et rappelle un peu les ambiances oniriques de Damaged avec ces petits drones électroniques portés par quelques arrangements subtils d’instruments à vent. Lambchop prend le pari de la longueur pour installer son propos, un dialogue subtile et complexe avec son auditeur.
Where Grass Won’t Grow choisi par Niehaus est une merveille de George Jones dont Kurt Wagner s’empare avec une belle incarnation toute sibylline, faisant le grand écart entre l’ancien et le nouveau continent. La part est belle pour le piano du décidément indispensable Tony Crow. Matthew Swanson choisit lui le morceau le plus éloigné du répertoire de Lambchop avec cette cover de Shirley, chanson des pionniers du rock Garage, The Mirrors. Et l’Autotune de refaire une réapparition certes discrète, et des relents du Velvet Underground de se déployer. On notera que Lambchop n’a pas une et une seule attitude face aux reprises choisies, il peut aussi bien prendre quelques libertés avec l’originale que de respecter jusqu’à la moindre inflexion de voix la composition pré-existante.
C’est encore Paul Niehaus qui choisit de s’attaquer à une autre icone de la musique noire en la personne de Stevie Wonder avec Golden Lady qui pourrait ressembler à un double hommage, à la magnificence passée du pianiste aveugle mais aussi aux belles heures d’une White Soul incarnée par le David Bowie de Young Americans. Love Is Here And Now You’re Gone, reprise des Supremes, est le choix malicieux de Tony Crow. On n’est pas vraiment surpris de cette proposition quand on connaît l’humour du monsieur sur scène qui apporte toujours un contrepoint bienvenu à la mélancolie de son leader et ami. En clôture, Kurt Wagner nous propose son choix, une chanson inédite de son ami de longue date, James McNew de Yo La Tengo, la superbe Weather Blues après une autre reprise sur What Another Man Spills.
Ce disque pourrait paraître récréatif sur le papier tant dans son projet Trip se pose en exercice de style mais il est à parier qu’avec les années passant, il se posera là en jalon et en annonciateur de nouveaux changements pour le collectif de Nashville. A travers ces réinterprétations de titres non-composés par le groupe, on assiste à la réinvention d’une notion collective mais aussi à l’émergence de nouvelles pistes à suivre. Ce qui le rend finalement indispensable, c’est cette incarnation nouvelle qu’il propose. Celle d’un groupe d’individus bien décidés à toujours se réinventer.
Greg Bod